Aller au contenu

caalap

Dévoiement identitaire et discriminatoire de la laïcité.

par Roland Pfefferkorn1

L’aspiration émancipatrice vers la liberté et l’égalité qui sous-tendait la laïcité historique s’est métamorphosée au cours des dernières décennies en son contraire. Après avoir, dès les lendemains de la Grande guerre, évolué vers une catho-laïcité, elle se transforme désormais aussi en une néo-laïcité identitaire et discriminante. Cette reconfiguration vise principalement à discriminer les musulmans, et parmi eux en premier lieu les femmes. Elle tourne clairement le dos aux principes de liberté et d’égalité et à la séparation des Églises et de l’État qui ont été aux fondements même de la laïcité historique.

Compte tenu de la kyrielle d’assouplissements obtenus par l’enseignement catholique dès 1919, surtout depuis 1959, et au regard des multiples manifestations symboliques d’allégeance au catholicisme, qui éloignent tant de l’esprit que de la lettre des lois scolaires laïques des années 1880 et de la loi de 1905, on ne peut qu’être stupéfait par le déclenchement en 1989, année du bicentenaire de la Révolution, d’une campagne politico-médiatique délirante autour d’un « voile islamique » dont le port serait constitutif d’une insupportable atteinte délibérée à la laïcité. Une campagne qui aura abouti à l’adoption de la loi « antivoile » du 15 mars 2004 et à l’exacerbation de l’islamophobie. Avec la loi « séparatisme » de 2021 on assistera de surcroît non seulement à la mise sous tutelle étatique du culte musulman, mais encore et plus largement de toutes les structures associatives quel que soit leur objet, culturel ou environnemental par exemple.

  1. Quinze ans de campagnes politico-médiatiques autour du « voile islamique »

Le 18 septembre 1989, trois collégiennes de Creil refusent d’enlever leur foulard en classe. Elles font d’abord l’objet d’une mesure d’exclusion. Suite à un accord entre les parents et le collège de Creil elles retournent à l’école le 9 octobre 1989. Elles devront retirer leur foulard avant d’entrer en cours et pourront le remettre dès la sortie. Malgré cet accord on assiste aussitôt à un emballement politico-médiatique. Le ministre de l’éducation nationale Lionel Jospin saisit le Conseil d’État. Celui-ci rend un avis le 27 novembre 1989 qui stipule que le port du foulard, en tant qu’expression religieuse dans un établissement scolaire public, est parfaitement compatible avec la laïcité. Un refus d’admission ou une exclusion ne seraient justifiés que dans des circonstances exceptionnelles. L’« affaire de Creil » aurait pu en rester là.

La fabrication de cette « affaire » s’inscrit dans des campagnes de presse antérieures qui visaient l’islam et les musulmans2, et entretiennent une confusion systématique entre islam et islamisme. Ces campagnes seront régulièrement réactivées tout au long des années 1990. Au-delà du rôle spécifique joué par la presse magazine et les idéologues qui s’y expriment, Françoise Lorcerie montre que la mise sur orbite d’une loi interdisant le port du voile à l’école3 est d’abord le résultat d’une « mobilisation politique venue de la droite parlementaire », proche de Jacques Chirac. Les choses s’accélèrent fin avril 2003 quand le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin demande à François Baroin un rapport sur la situation de la laïcité en France. Intitulé Pour une nouvelle laïcité, ce rapport sera rendu un mois plus tard. Il appelle à penser et à vouloir désormais la laïcité comme un emblème de la pérennité de « l’identité française ». Cette réélaboration dans un sens national conservateur s’inscrit dans une tradition identitaire barrésienne. Jusqu’alors la laïcité avait plutôt été une valeur de gauche, la droite et l’extrême droite défendant plutôt les valeurs chrétiennes.

Dans la foulée une commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité (commission Stasi) est mise en place le 3 juillet 2003 par Jacques Chirac. Elle se ralliera pour l’essentiel à cette redéfinition. Soutenus par le battage médiatique les « entrepreneurs de l’interdiction » du voile vont imposer leur « solution » dans l’opinion publique et dans la sphère politique. Six mois durant, Le Parisien, Le Monde, Le Figaro et Libération consacrent plus d’une centaine de unes au thème de la laïcité et 1284 articles, soit plus d’un article par jour et par titre. En avril 2003, les sondages prêtaient 49 % d’opinions favorables à l’interdiction du voile, contre 45 % d’opinions hostiles. En octobre 2003, 69 % des sondés s’y déclarent favorables, contre 29 % opposés.

  1. La loi de 2004 : la fabrication d’une pseudo-laïcité identitaire et discriminatoire

Dans la plupart des argumentaires en faveur de la loi de 2004, c’est du « voile » qu’il est question. De même c’est du « voile » qu’aura parlé le président Chirac dans son discours du 17 décembre 2003 pour appeler le Parlement à légiférer. Enfin c’est sur le « voile » que les députés ont interminablement glosé au cours des débats parlementaires. Finalement, comme l’avait préconisé le rapport Baroin, la laïcité est posée comme « un élément de référence de l’identité française ».

La loi « encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics » a finalement été adoptée le 15 mars 2004 à une large majorité, le PS s’alignant sur les partis de droite4. La loi introduit un nouvel article dans le Code de l’éducation : Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. Ce texte va à l’encontre de l’avis exprimé par le Conseil d’État en 1989 selon lequel le port du foulard islamique, en tant qu’expression religieuse, dans un établissement scolaire public, est compatible avec la laïcité.

Cette loi anti-foulard a été présentée par ses promoteurs comme un « retour aux sources » ou comme l’aboutissement logique de la « laïcité française ». Une loi qui n’aurait fait que « réaffirmer » des principes oubliés, « redécouvrir » la pertinence et l’actualité des textes fondateurs, « retrouver » la saine intransigeance de Ferry, Jaurès ou Gambetta, « restaurer » ou « refonder » un ordre public mis en péril par un renouveau de la menace religieuse. Or cette rhétorique du retour aux sources n’aura servi qu’à promouvoir une loi qui opère une transformation radicale de la laïcité historique, en rupture et contradiction totales avec les lois fondatrices qui visaient la liberté et l’égalité. C’est pourquoi Jean Baubérot parle à juste titre de « laïcité falsifiée »5. La loi de 2004 marque une rupture identitaire et discriminatoire avec les lois scolaires historiques – qui ne s’appliquaient qu’à la puissance publique (les programmes, les locaux et les personnels) et en aucun cas aux élèves – et avec la loi de 1905 qui avait une visée de liberté, d’égalité et d’apaisement du conflit séculaire entre État et religion.

  1. Exacerbation de l’islamophobie

Désormais tous les prétextes seront bons pour tenter d’étendre indéfiniment le champ d’application de la loi de 2004. Des femmes voilées sont régulièrement prises à partie dans l’espace public, parfois même violemment. Cette néo-laïcité qui entend ainsi statuer sur la façon de s’habiller des femmes porte atteinte à leurs libertés élémentaires. Les campagnes antivoile et la loi de 2004 ont exacerbé la stigmatisation des musulmans. C’est au nom de cette néo-laïcité que se construit année après année l’image d’une altérité déviante qui s’étend à l’ensemble des musulmans. Le Printemps républicain, groupement idéologique, proche de Manuel Valls, officiellement créé en 2016 et relayé par les magazines Marianne et Causeur, promeut cette néo-laïcité islamophobe. Cette officine exerce une influence certaine sur le monde politique, y compris au plus haut niveau. Elle distille ce que certains appellent un « identitarisme national-républicain » ou un « républicanisme identitaire » et contribue au développement de ce que Jean-François Bayart identifie comme « une islamophobie d’État ». La loi de 2004 est désormais mobilisée comme l’arme d’une véritable guerre culturelle. Ce qui explique et éclaire pourquoi depuis 2010 l’extrême droite se soit approprié cette néo-laïcité et l’ait mise en avant. À un point tel que Madame Badinter est allée jusqu’à estimer qu’ « en dehors de Marine Le Pen, plus personne ne défend la laïcité »6.

Le monde médiatique et politique français refuse de voir dans l’islamophobie une forme de racisme7. Journalistes, écrivains, philosophes de médias ou hommes politiques n’hésitent pas à s’affirmer islamophobes tout en considérant que ceux qui luttent contre l’islamophobie constitueraient des menaces pour les « valeurs républicaines et la laïcité ». Des accusations ignominieuses (« islamo-gauchiste », « idiot utile du djihadisme ») sont lancées par des ministres ou des éditorialistes contre les mouvements antiracistes, des syndicalistes ou des chercheurs, accusations soutenues par des adeptes d’une nouvelle chasse aux sorcières. A l’initiative du sommet de l’Etat, ces campagnes permanentes aboutiront en 2021 à la loi « séparatisme ».

  1. La loi « séparatisme » d’août 2021 : une loi pseudo-laïque liberticide

La loi « confortant les principes de la République » adoptée le 24 août 2021 (dite loi « séparatisme ») vise, d’après le site officiel, les objets suivants : « Délit de séparatisme, encadrement de l’instruction en famille, contrat d’engagement républicain pour les associations, lutte contre la haine en ligne, meilleure transparence des cultes ». Son article 12 impose la signature d’un « contrat d’engagement républicain » à toutes les associations recevant des subventions publiques ou « bénéficiant d’un agrément reconnaissant leur capacité à agir ». Les contrôles administratifs et la surveillance des cultes sont renforcés. Le culte musulman et les associations regroupant des personnes musulmanes sont particulièrement visés8.

Cette loi va cependant bien au-delà, puisqu’elle met désormais tous les cultes et plus largement l’ensemble de la vie associative sous contrôle étatique9. Elle s’attaque directement à deux lois de liberté emblématiques du début du 20e siècle : d’une part à la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association régissant la liberté associative ; d’autre part à la loi du 9 décembre 1905 qui garantit la liberté de conscience, y compris la liberté religieuse dans sa dimension collective et publique, et acte la séparation des Églises et de l’État, ce dernier n’ayant pas vocation à contrôler les premières.

C’est pourquoi les principales organisations de défense des droits humains et les organisations laïques historiques comme la Ligue des droits de l’Homme, la Libre Pensée ou l’Union rationaliste ont dénoncé cette « dérive sécuritaire, parfois même teintée de xénophobie » qui affecte nombre de libertés : « liberté de conscience et de culte, liberté d’expression, liberté d’association, droit à l’instruction, libre administration des collectivités territoriales ». Elles « s’inquiètent sur le devenir d’une laïcité devenue aux yeux des pouvoirs publics un instrument de contrainte et de conformation ». Enfin, elles « dénoncent les dévoiements et dérives qu’elles constatent dans le débat public et affirment leur volonté de défendre la pleine laïcité, principe non partisan de liberté et de paix civile »10.

1 Professeur émérite de sociologie, Université de Strasbourg, Laboratoire interdisciplinaire en études culturelles, LinCS, UMR 7069 (CNRS, Unistra).

2 Exemples : les médias et les membres du gouvernement avaient stigmatisé au printemps 1982 des ouvriers grévistes de l’automobile originaires du Maroc, le Premier ministre d’alors, Pierre Mauroy, les accusa même d’être « téléguidés par l’ayatollah Khomeyni » ; Le Figaro Magazine du 26 octobre 1985 publiait en couverture le buste d’une Marianne voilée avec cette question: « Serons-nous encore français dans trente ans ? »

3 F. Lorcerie, « La “loi sur le voile”: une entreprise politique », Droit et société, 2008. En ligne : https://www.cairn.info/revue-droit-et-societe1-2008-1-page-53.htm

4 Par 494 voix pour (330 UMP, 140 PS, 13 UDF, 7 CR, 4 non-inscrits), 36 contre (12 UMP, 2 PS, 4 UDF, 14 PCF, 4 NI dont les 2 Verts) et 31 abstentions (17 UMP, 12 UDF, 2 NI).

5 Voir Jean Baubérot, La laïcité falsifiée, Paris, La découverte, 2012.

6 Dans un entretien accordé au Monde des religions, 28 septembre 2021.

7 Voir Reza Zia-Ebrahimi, « The French origins of “Islamophobia denial” », Patterns of Prejudice, n° 54, 2020.

8 Voir le rapport de l’Observatoire des libertés associatives, Enquête sur la répression des associations dans le cadre de la lutte contre l’islamisme. Une nouvelle chasse aux sorcières, janvier 2022 : https://www.lacoalition.fr/Observatoire-des-libertes-associatives

9 Pour des exemples voir La Croix, « Les associations s’alarment des effets de la loi séparatisme », 27 janvier 2023, page 5 ; Alternatives économiques, mars 2023, pages 42-43 ; Le courrier des maires et des élus locaux, « Vers une mise au pas des associations les moins dociles », 3 juillet 2023 ; Le Monde, « Sur le plateau de Millevaches, une « liste rouge » d’associations privées de subventions », 9 août 2023 ; Reporterre, « Loi Séparatisme : un média brestois perd ses subventions », 25 janvier 2024…

10 https://union-rationaliste.org/pour-une-laicite-de-liberte-et-demancipation/

Limites ou points aveugles des lois laïques historiques

par Roland Pfefferkorn1

Les avancées les plus significatives vers la liberté de conscience et la séparation des Églises et de l’État sont intervenues en France dans les deux dernières décennies du XIXe siècle et les premières années du XXe. Les lois scolaires laïques de 1882 et 1886 ont permis de dégager des tutelles religieuses les programmes, les locaux et les personnels. La loi de 1905 a parachevé le processus en posant deux ensembles de principes : séparation des Églises et de l’État et neutralité des pouvoirs publics en matière religieuse ; liberté de conscience, y compris religieuse, et égalité de tous, croyants et non-croyants2. Pour autant la politique laïque mise en oeuvre par les Républicains ne s’inscrit pas dans une perspective d’émancipation humaine plus large : elle ne remet en cause ni la domination de classe, ni l’ordre patriarcal, ni l’expansion coloniale.

  1. Pas de laïcité dans les colonies

La non-application des lois laïques dans les colonies est l’un des points aveugles de la politique laïque de la Troisième République. Jules Ferry ne fut pas seulement le chantre de l’école laïque… en métropole, mais aussi un partisan actif de l’entreprise coloniale. Dans son discours du 28 juillet 1885 à l’Assemblée nationale il exposait crûment les présupposés de la conception colonisatrice d’une partie des républicains : « Il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures ». Il défendait le postulat de l’inégalité raciale qui justifiait l’inégalité juridique… dans l’Empire colonial. En Algérie colonisée les indigènes musulmans relevaient d’un statut d’exception en vertu du Code de l’indigénat adopté en 1881. Ce dernier confirme et précise la discrimination instituée par le Second Empire qui dès 1865 établit en droit la différence de statut juridique entre Européens et indigènes. Cette différence de statut restera en vigueur jusqu’à la loi du 7 mai 1946. En 1870, le décret de 1865 avait été modifié par le décret Crémieux qui accordait la nationalité française aux juifs des trois départements algériens.

La loi de 1905 ne fut pas introduite en Algérie colonisée. Ni égalité de traitement, ni séparation de l’Etat et des Eglises. Le décret du 27 septembre 1907 « déterminant les conditions d’application en Algérie des lois sur la séparation des Églises et de l’État et l’exercice public des cultes » fut adopté en tant que « mesure transitoire dans l’objectif d’une séparation sans troubles ». Les associations cultuelles musulmanes, les principales mosquées et les fondations pieuses sont placées sous le contrôle de l’administration coloniale. L’octroi temporaire d’indemnités aux ministres du culte agréés par le gouverneur général d’Algérie est prévu par ce même décret. Ce financement fut reconduit jusqu’à l’indépendance de l’Algérie. Ce régime des cultes entre évidemment en contradiction avec les principes juridiques posés par la loi de 1905.

Les lois scolaires laïques ne sont pas davantage introduites en Algérie colonisée. D’abord seule une infime minorité des enfants musulmans furent scolarisés. Avec la présence accrue des colons, puis l’arrivée de leurs familles, l’Algérie deviendra en outre le « laboratoire républicain » de la séparation des races. Quand ils seront scolarisés, les indigènes se retrouveront avant tout dans l’enseignement pratique et professionnel, leur accès à l’enseignement primaire et secondaire sera négligeable. Charles-Robert Ageron relève dans son bilan « le caractère superficiel » de la scolarisation des Algériens pendant la période coloniale3. En 1889 moins de 2 % de la population scolarisable en premier degré était touchés par l’instruction. Les effectifs des élèves de statut musulman inscrits à l’école primaire en Algérie restent très faibles, inférieurs à 10 % de la population scolarisable, jusqu’à la veille de la guerre d’indépendance.

Laissons parler les chiffres …

Effectifs des élèves de statut musulman inscrits à l’école primaire en Algérie entre 1882 et 1961 (Source : Aïssa Kadri (éd.), Instituteurs et enseignants en Algérie (1945-1978). Histoire et mémoires, Paris, Karthala, 2014).

  1. Les femmes infériorisées, scolarisées à part et écartées du suffrage « universel »

Le système scolaire consacré par la Troisième République repose sur la séparation des filles et des garçons dans le primaire et le secondaire. La filière réservée aux filles dans le secondaire ne prépare pas à la poursuite d’études dans le supérieur. La loi Camille Sée du 21 décembre 1880 crée un enseignement secondaire féminin, avec des programmes très allégés, peu de mathématiques, pas de latin, ni de grec. Il s’agit de former des épouses et des mères cultivées mais non des bachelières. À partir de 1902, la mise en place d’un baccalauréat unique entrouvrira les portes de l’université aux jeunes filles de la bourgeoisie. La part des bachelières passera de 0,04 % en 1905 à 6 % en 1914. Avant 1914 peu de femmes accèdent aux études universitaires4. Il faudra aussi attendre 1919 pour que les traitements des institutrices soient alignés sur ceux des instituteurs.

Le suffrage prétendument « universel » est strictement masculin. Les manuels de l’école républicaine, censés participer à l’éducation civique et citoyenne, ont longtemps masqué aux yeux des jeunes élèves cette réalité tronquée du suffrage « universel ». Il faudra attendre les manuels d’après 1985 pour que les livres d’histoire de l’école communale mentionnent l’obtention du droit de vote par les femmes en 1944, et les manuels de la fin des années 1990 pour que les livres d’histoire de l’enseignement élémentaire notent que les femmes avaient été écartées du droit de vote en 1848 et que le suffrage « universel» était un suffrage masculin. Plus largement, les droits des femmes sont déniés ou bafoués tout au long du XIXe et l’essentiel du XXe siècle dans de nombreux domaines. Conservatisme républicain et dogmatisme catholique confortent alors l’ordre patriarcal.

  1. Occultation et maintien de la domination de classe

Enfin, deux ordres d’enseignement distincts et hiérarchisés (qui relèvent d’administrations différentes, dotées de corps enseignants différents et fonctionnant comme des réseaux cloisonnés) assurent la séparation sociale. L’école primaire accueille les enfants du peuple. Les classes élémentaires des lycées, les « petits lycées » payants, accueillent les enfants des familles bourgeoises (31 000 en 1913, 55 000 en 1930).

Avant 1914, seul un élève du primaire sur 2 000 passe chaque année dans le secondaire. En 1913 moins de 8000 élèves (issus de la bourgeoisie) obtiennent le baccalauréat.

En somme, à l’école, l’idéal laïque s’inscrit dans les rapports de classe existants. Il ne fait pas seulement écran à une domination de classe inchangée, il la présuppose et, en un sens, il lui permet de se maintenir.

Au total, la laïcité scolaire est corsetée par une double, voire triple, séparation, filles/garçons, primaire (enfants du monde populaire)/secondaire-supérieur (enfants de la bourgeoisie), enfants d’indigènes/enfants de colons. Ces limites seront renforcées aux lendemains de l’union sacrée autour de la Grande guerre et de la promotion de la « religion de la patrie ». Les gouvernements successifs mettront en place les premières possibilités de financement de l’enseignement catholique et surtout renonceront à étendre les lois laïques à l’Alsace et à la Moselle. Après 1945 de nouveaux assouplissements, accommodements et arrangements sont obtenus au fur et à mesure par l’Église catholique pour l’ensemble du territoire, en particulier avec la loi Debré de 1959 qui lui concède d’importants subsides financiers.

1 Professeur émérite de sociologie, Université de Strasbourg, Laboratoire interdisciplinaire en études culturelles, LinCS, UMR 7069 (CNRS, Unistra).

2 On trouvera une présentation du mouvement historique qui conduit progressivement et non sans retours en arrière aux lois laïques de la Troisième République dans R. Pfefferkorn, Laïcité : une aspiration émancipatrice dévoyée, Paris, Syllepse, 2022.

3 Charles-Robert Ageron, Les Algériens musulmans et la France, Paris, PUF, 1968, tome II, p. 954.

4 Voir Roland Pfefferkorn, « L’entrée des femmes dans les universités européennes : France, Suisse et Allemagne », Raison présente, 2017/1, n° 201, p. 117-127. En ligne : https://www-cairn-info.revue-raison-presente-2017-1-page-117.htm

Dévoiement catho-laïque de la laïcité

par Roland Pfefferkorn1

La loi de 1905 rencontre une opposition opiniâtre de l’Église catholique2. Elle la perçoit comme une loi d’oppression à son encontre, mais aussi comme une loi de perdition pour la nation. La lettre encyclique du 11 février 1906 du pape Pie X, Vehementer nos3 réprouve la séparation de l’État et de l’Église, « acte éminemment funeste et blâmable » : La séparation […] bouleverse […] l’ordre très sagement établi par Dieu dans le monde. Deux autres encycliques suivront sans compter une nouvelle guerre des manuels scolaires, entre 1907 et 1914, après celle des années 1882-1883.

Après 1919, au lendemain de l’union sacrée autour de la Grande guerre et de la promotion de la « religion de la patrie », les gouvernements successifs mettent en place les premières possibilités de financement de l’enseignement catholique et surtout renoncent à étendre les lois laïques à l’Alsace et à la Moselle. Les normes non laïques antérieures restent « provisoirement » en place dans ces trois départements4. Après 1945 de nouveaux assouplissements, accommodements et arrangements sont obtenus au fur et à mesure par l’Église catholique pour l’ensemble du territoire, en particulier avec la loi Debré de 1959 qui lui concède d’importants subsides financiers. En outre avec la Ve République se met en place le rituel politico-religieux de la visite des chefs d’Etat au Vatican.

  1. Non-laïcité en Alsace-Moselle et dans une partie des confettis de l’Empire

La loi du 17 octobre 1919 dispose que « les territoires d’Alsace et de Lorraine continuent, jusqu’à ce qu’il ait été procédé à l’introduction des lois françaises, à être régis par les dispositions législatives et réglementaires qui y sont actuellement en vigueur ». Celle du 1er juin 1924 précise qu’est « expressément maintenu en vigueur dans ces départements à titre provisoire l’ensemble de la législation locale sur les cultes et les congrégations religieuses ». Vingt ans plus tard, à la Libération, l’ordonnance du 15 septembre 1944 précise une fois de plus que les dispositions dérogatoires sont maintenues « provisoirement ».

Une telle situation va clairement à l’encontre de l’article premier de la constitution de la Ve République : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ».

Il faut ajouter en outre au cas alsacien-mosellan les exceptions des territoires d’outre-mer, confettis de l’ancien Empire colonial. En Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion la loi de 1905 est effective à partir du 6 février 1911. La Guyane relève toujours de l’Ordonnance royale de Charles X du 27 août 1828 qui organise et soutient le culte catholique. Les autres cultes se voient appliquer les dispositions des Décrets Mandel (des 16 janvier et 6 décembre 1939) qui font échapper les cultes au régime de la Séparation des Eglises et de l’Etat. En Polynésie, à Wallis et Futuna et en Nouvelle-Calédonie, le régime des cultes est encadré par les Décrets Mandel et échappent à la séparation des églises et de l’Etat.

A Mayotte, les mahorais peuvent choisir entre deux statuts : le statut de droit commun, selon la législation française (administrations, actes notariés, tribunaux) et le statut personnel, dérogatoire au code civil et à la laïcité. Depuis juin 2010, il ne revient plus aux juges musulmans, ou cadis, de rendre la justice touchant le statut personnel, mais ils peuvent être consultés sur l’application du droit local.

Du provisoire non laïque qui dure…

  1. Soutien financier à l’école privée catholique : Lois Astier, Marie, Ballangé, Debré, Guermeur…

Les premières mesures permettant de déroger à la loi de 1905 ont été prises dès les lendemains de la Première Guerre mondiale, avec la loi Astier du 29 juillet 1919. Ce que l’historienne Jacqueline Lalouette appelle un « régime de séparation évolutif » s’est donc mis en place très tôt. Celui-ci va tendre vers ce que nous proposons d’appeler une « catho-laïcité », en reprenant le vocable d’Edgar Morin, car les établissements privés catholiques vont être les grands bénéficiaires d’une série de lois, de mesures et dispositions diverses dont la plus décisive sera la loi Debré adoptée en 1959.

Cette dernière permet la prise en charge par l’État des rémunérations et des dépenses de fonctionnement de l’enseignement dit « libre ». Elle institutionnalise le financement public de l’enseignement privé essentiellement catholique et va lui apporter des moyens considérables puisque les salaires représentent environ 80 % des besoins financiers des établissements. Toute une série d’autres dispositions allant dans le même sens seront prises dans les décennies suivantes et jusqu’à tout récemment.

L’ensemble des avantages consentis à l’enseignement privé catholique représente des sommes considérables, année après année, difficiles à chiffrer, en raison des financements indirects opérés via les réductions d’impôt ou exonération des droits de mutation obtenues pour les dons accordés aux fondations catholiques reconnues d’utilité publique.

Plus de 9 milliard d’euros, très exactement 9 035 305 069 euros, sont prévus au budget 2024 du ministère de l’Éducation nationale pour le financement des seuls salaires de l’enseignement privé des premier et second degrés5. Les données globales les plus récentes (2021) établissent que le financement public (État et collectivités territoriales) à destination de l’enseignement privé aurait représenté 15 milliards 60 millions d’euros, cela sans compter la taxe d’apprentissage et les dons défiscalisés, dont les établissements scolaires catholiques sont les principaux bénéficiaires6.

  1. L’invention d’une tradition : la visite des chefs d’Etat au Vatican

Sur un plan symbolique aussi les lois laïques ont été dévoyées. Depuis la première visite en 1957 par René Coty, à la fin de la IVe République, un nouveau rituel politico-religieux a été institué sous la Ve Republique : la visite officielle au Vatican par les chefs d’Etat français. En voici la liste :

René Coty (en 1957), une première depuis Charlemagne (!),

le général de Gaulle (en 1959 et 1967),

Valéry Giscard d’Estaing (en 1975, 1978 et 1981),

François Mitterrand (en 1982),

Jacques Chirac (en 1996),

Nicolas Sarkozy (en 2007 et 2010),

François Hollande (en 2014, 2016 et 2017)

Emmanuel Macron (en 2018, 2021 et 2022).

Ces visites sont une autre expression du caractère « catho-laïque » de la Ve République.

Emmanuel Macron est allé plus loin encore. Le 9 avril 2018, il s’est rendu à la conférence des évêques de France, au collège des Bernardins, une première depuis le vote de la loi laïque de séparation de l’Église et de l’État de 19057. Il y a affirmé sa volonté « de réparer le lien entre l’Église et l’État ». Cette participation d’un chef d’État à la conférence des évêques de France et les propos tenus sont évidemment en rupture totale avec la loi de 1905.

Au regard de cette kyrielle d’assouplissements, accommodements et arrangements obtenus par l’enseignement catholique dès 1919, surtout depuis 1959, et au regard de ces manifestations symboliques d’allégeance au catholicisme, qui éloignent tant de l’esprit que de la lettre des lois scolaires laïques des années 1880 et de la loi de 1905, on ne peut qu’être stupéfait par le déclenchement en 1989, année du bicentenaire de la Révolution, de la campagne politico-médiatique autour du « voile islamique » qui serait constitutif d’une insupportable atteinte à la laïcité. Cette campagne islamophobe débouchera sur la loi antivoile de 2004 suivie de la loi séparatisme de 2021. Un dévoiement identitaire et discriminatoire accompagnera désormais le dévoiement catho-laïque.

1 Professeur émérite de sociologie, Université de Strasbourg, Laboratoire interdisciplinaire en études culturelles, LinCS, UMR 7069 (CNRS, Unistra).

2 On trouvera une présentation des lois laïques de la Troisième République et du mouvement historique qui y conduit dans R. Pfefferkorn, Laïcité : une aspiration émancipatrice dévoyée, Paris, Syllepse, 2022.

3 Les encycliques sont accessibles sur le site du « Saint-Siège » dans la page consacrée au pape signataire. Vehementer nos est disponible en latin, français, italien et anglais.

4 Voir R. Pfefferkorn, « Alsace-Moselle : un statut scolaire non laïque », Revue des Sciences sociales, n° 38, 2007, pp. 158-171

5 https://www.budget.gouv.fr/documentation/documents-budgetaires/exercice-2024 Données publiées par La Libre Pensée : https://www.fnlp.fr/2024/02/19/budget-2024-du-ministere-de-leducation-nationale/

6 Idem.

7 Plus récemment, le 23 mai 2022, le ministre de l’Intérieur, G. Darmanin, a assisté à la messe d’accueil du nouvel archevêque de Paris ; et le 23 septembre 2023, le président de la République, E. Macron a assisté à la messe du pape François, organisée au stade Vélodrome de Marseille.

Bref retour sur les lois laïques historiques

par Roland Pfefferkorn1

La confusion la plus grande règne depuis quelques décennies déjà sur le sens et le contenu de la laïcité. Le mot est utilisé à tort et à travers tant par certains acteurs publics que par des idéologues qui ont complètement retourné l’idée de laïcité telle qu’elle avait été construite non sans mal historiquement. L’aspiration émancipatrice initiale qui sous-tendait la laïcité, certes inaboutie, une aspiration vers la liberté et l’égalité, s’est métamorphosée en son contraire : désormais c’est une néo-laïcité identitaire et discriminante qui est promue par ceux qui sèment la confusion. Cette reconfiguration vers une néo-laïcité qui discrimine les musulmans, et parmi eux en premier lieu les femmes, tourne le dos aux principes de liberté et d’égalité et à la séparation des Églises et de l’État qui furent le fondement de la laïcité historique.

Le processus de laïcisation de l’État a pris des contours variables suivant les pays. L’idée d’une nécessaire séparation entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux émerge en Europe au lendemain des sanglantes guerres politico-religieuses qui se sont conclues en 1648 par les traités de Westphalie. La Réforme, puis les Lumières ont largement contribué à l’émergence et au développement de ce processus1. En France la Révolution de 1789 en constitue une première étape importante mais non décisive, c’est ainsi par exemple que l’état civil sera laïcisé. La permanence, voire le renforcement, de l’emprise catholique sur l’enseignement primaire, étendue avec la loi Falloux au secondaire, perdurera de Napoléon à la troisième République.

Les avancées vers la liberté de conscience et la séparation des Églises et de l’État interviendront en France dans les deux dernières décennies du XIXe siècle et les premières années du XXe. Les lois scolaires laïques de 1882 et 1886 permettent de dégager des tutelles religieuses les programmes, les locaux et les personnels. La loi de 1905 parachèvera le processus en posant deux ensembles de principes : séparation des Églises et de l’État et neutralité des pouvoirs publics en matière religieuse ; liberté de conscience, y compris religieuse, et égalité de tous, croyants et non-croyants. Ces principes synthétisent ce que la pensée et la législation laïque ont pu avoir d’émancipateur au tournant des 19e et 20e siècles.

  1. Les lois scolaires de 1882 et 1886 : laïcité de la puissance publique
  1. Le contexte international et national

En France, en Italie, au Royaume-Uni ou en Allemagne, les Églises occupent encore dans la première moitié du 19e siècle, et au-delà, une place centrale dans les politiques scolaires. La place des Églises est cependant contestée partout. La Commune de Paris insurgée avait proclamé la séparation des Églises et de l’État et interdit l’enseignement confessionnel le 2 avril 1871. Mais tout a été balayé le 28 mai lorsque les Versaillais eurent repris la capitale. Les lois scolaires laïques françaises de 1882 et 1886 représenteront dans une conjoncture politique particulière, l’aboutissement d’une exigence ancienne et de luttes qui dépassent le cadre français. En Allemagne et en Grande-Bretagne par exemple se développent des mouvements similaires.

La loi du 28 mars 1882 portant sur l’enseignement primaire obligatoire à l’école, dite loi Ferry, et celle du 30 octobre 1886 portant sur l’organisation de l’enseignement primaire, dite loi Goblet, constitueront le cœur de la première phase de la laïcisation républicaine en France. Ces deux lois sont encadrées par une série d’autres que nous ne rappelons pas ici2.

  1. Les principales dispositions : laïcité des programmes, des locaux et des personnels

Les lois scolaires concernent la puissance publique, l’État (séparé des Églises), et non les élèves, ses usagers. La laïcisation touche en effet spécifiquement l’État tandis que la sécularisation concerne les sociétés dans leur ensemble. Cette dernière renvoie à la libération progressive de la société – donc de ses membres – des tutelles religieuses en matière notamment de mœurs et de croyance. Les principes de base des lois Ferry et Goblet peuvent être synthétisés de la manière suivante :

Laïcité des programmes : « l’instruction morale et religieuse » des lois Guizot et Falloux est remplacée par « l’instruction morale et civique ». Catéchisme et prière disparaissent de l’école publique. Cependant les « devoirs envers Dieu » seront inscrits dans le texte réglementaire (publié le 27 juillet 1882) du programme de morale du cours moyen par le Conseil supérieur de l’Instruction publique avant de disparaître dans l’entre-deux-guerres.

Laïcité des locaux de l’école publique (suppression des crucifix dans les salles de classe ou sur les frontons des écoles ; le catéchisme sera donné par les ministres du culte dans des « locaux séparés »). La loi Ferry prévoit cependant que les écoles primaires publiques vaqueront un jour par semaine, en outre du dimanche, afin de permettre aux parents de faire donner, s’ils le désirent, à leurs enfants, l’instruction religieuse, en dehors des édifices scolaires.

Laïcité des personnels instituée par la loi Goblet du 30 octobre 1886 qui proclame l’incompatibilité entre le statut de clerc et la fonction d’enseignant dans une école publique.

Par-delà l’école, la mise en œuvre de la laïcité en France s’étend à d’autres domaines de la vie sociale restés sous l’emprise des Églises3

  1. La loi de 1905 : liberté de conscience et séparation des Eglises et de l’Etat
  1. Le contexte international et national

Entretemps, le mouvement de laïcisation a connu des avancées ailleurs dans le monde, par exemple au Mexique et au Brésil. En France, il faudra attendre la crise de l’affaire Dreyfus pour que l’évolution se précipite. En 1904 pour sortir les jeunes filles de l’emprise catholique, les congrégations sont interdites d’enseignement par le gouvernement Combes. Dès lors, les tensions avec le Vatican se multiplient au point que les relations diplomatiques seront rompues le 30 juillet 1904.

La loi adoptée en décembre 1905 est le résultat d’un compromis entre différents projets républicains de séparation. Celui initial d’Emile Combes arrivé au pouvoir en 1902 visait au contrôle du catholicisme français et à la rupture des liens avec Rome. Contraint à la démission en janvier 1905 suite à un scandale politique, il ne peut mettre en œuvre son projet. Aristide Briand, poussé par Jean Jaurès, accepte la charge de rapporteur de la commission parlementaire. Le 4 mars 1905, il dépose son rapport. À la Chambre comme au Sénat, un désaccord fondamental apparaît entre deux types de « séparations ». D’un côté ceux qui dans l’optique de Combes, souhaitent contrôler l’Église et conçoivent la séparation comme « une arme de combat contre les religions ». De l’autres ceux qui conçoivent la séparation comme une indépendance réciproque de l’Église et de l’État.

Après de longs mois de débats, c’est l’option de Briand qui l’emporte en décembre 1905. Elle s’inscrit dans la filiation des lois de liberté votées au cours des années précédentes (loi du 30 juin 1881 sur la liberté de réunion, loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, loi du 21 mars 1884 relative à la création des syndicats professionnels, loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association…).

  1. Les principes de la loi de 1905 : séparation et neutralité ; liberté et égalité

Le titre 1 de la loi en expose les « principes » :

« Article 1er. La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.

« Article 2. La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, (…) seront supprimées des budgets de l’État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes. Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons. Les établissements publics du culte sont supprimés, sous réserve des dispositions énoncées à l’article 3 ».

Les articles des titres suivants de la loi apportent un certain nombre de précisions sur différents points4.

La liberté de conscience intègre la liberté religieuse, y compris dans sa dimension collective et publique. L’État n’a pas vocation à contrôler les Églises. Les autorités publiques sont astreintes à la neutralité. Les Églises doivent s’abstenir de « résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique» (art. 35).

Les convictions religieuses peuvent s’exprimer dans l’espace public dans les limites du droit commun municipal. La jurisprudence a régulé l’expression religieuse des agents des administrations publiques : l’expression est libre, mais encadrée par le devoir de réserve, pour éviter toute répercussion sur le service ; l’expression dans le service est interdite.

La loi de 1905 anticipe des exigences conventionnelles contemporaines. Elle est conçue comme un dispositif visant la liberté (de pensée, d’opinion, de culte) et l’égalité (égalité de traitement de toutes et tous indépendamment des croyances de chacun).

Construite autour de trois principes fondamentaux, la laïcité a affirmé la liberté de conscience. Elle a posé le principe de séparation des Églises et de l’État. Elle a veillé à permettre la libre manifestation des convictions de tous, y compris religieuses, les religions disposant d’une complète liberté d’organisation et de communication.

La IIIe République promeut un idéal d’émancipation de la tutelle religieuse, l’égalité entre croyants et non-croyants et l’égalité des religions entre elles. Elle renforce la liberté d’expression avec la garantie de la liberté de conscience. Gardons cependant à l’esprit que la politique laïque mise en oeuvre par les Républicains ne s’inscrit pas pour autant dans une perspective d’émancipation humaine plus large : elle ne remet en cause ni la domination de classe, ni l’ordre patriarcal, ni l’expansion coloniale.

1 On trouvera une présentation synthétique de ce mouvement historique qui conduit progressivement et non sans retours en arrière aux lois laïques de la Troisième République dans R. Pfefferkorn, Laïcité : une aspiration émancipatrice dévoyée, Paris, Syllepse, 2022, pp. 6-30. Le présent texte s’appuie largement sur les éléments développés dans ce livre.

2 Voir R. Pfefferkorn, Laïcité : une aspiration émancipatrice dévoyée, Paris, Syllepse, 2022, p.35.

3 Idem, p. 37-38.

4 Le titre II traite de l’attribution des biens et des pensions. Le titre III traite des édifices des cultes. Le titre IV traite des associations pour l’exercice des cultes. Le titre V est consacré à la police des cultes. Il comporte un article 27 traite des sonneries de cloches ou l’usage des édifices du culte, il précise que « les cérémonies, processions et autres manifestations extérieures d’un culte» sont « libres, sous la seule réserve du respect de l’ordre public ». L’article 28 énonce en outre qu’« il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions ».

1 Professeur émérite de sociologie, Université de Strasbourg, Laboratoire interdisciplinaire en études culturelles, LinCS, UMR 7069 (CNRS, Unistra).

Savant·es et politiques contre l’ « islamogauchisme »

Cette fiche synthétise un article en deux parties de la maîtresse de conférence Christelle Rabier paru dans la revue Mouvements. Elle a pour objectif d’identifier les mouvements de droite et d’extrême-droite (et leurs stratégies rhétoriques) qui, en accusant certain·es chercheur·euses d’ « islamogauchisme » mettent en danger leurs libertés académiques, leur carrière et leur sécurité personnelle. Les noms, notions et acronymes suivis d’un astérisque sont définis dans le lexique à la fin de la fiche.

Christelle Rabier est maîtresse de conférence à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS*), spécialisée en histoire et sociologie des sciences dans une perspective féministe et anticoloniale. Le 26 novembre 2020 elle est accusée d’« islamo-gauchisme » et de « cancel culture* » dans un tweet du député LR Julien Aubert, qui avait demandé la veille à l’Assemblée Nationale la création d’une mission d’information « sur les dérives idéologiques dans les milieux universitaires ». Les deux articles écrits par C. Rabier visent à reconstituer le réseau politique et universitaire qui mène cette offensive, depuis 2018, contre la recherche académique et à identifier les racines de son argumentation dans une certaine tradition intellectuelle et nationaliste française.

I. Cartographie sociale de la chasse aux sorcières « islamogauchistes » depuis 2018, véritable offensive politique

Les accusations d’islamogauchisme* à l’Université ont pris de l’ampleur en 2020, quand le président Emmanuel Macron a jugé que le monde universitaire était coupable d’avoir « encouragé l’ethnicisation de la question sociale en pensant que c’était un bon filon ». Ce jugement, inspiré du discours de Marion-Maréchal Le Pen, a été suivi d’une dénonciation d’un « islamogauchisme dans les universités » par le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer et de l’annonce d’une enquête sur « l’islamogauchisme à l’université » en 2021 par la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal. Plusieurs parlementaires de droite, dont Julien Aubert et Damien Abad ont applaudi cette initiative.

À cet ensemble de personnalités politiques s’est jointe une poignée d’universitaires partageant les mêmes idées et parfois les mêmes réseaux, se réclamant des « valeurs de la République » . Tous·tes déclarent lutter contre la prétendue « idéologie » qui aurait cours dans les sciences sociales françaises. Par exemple l’association « Vigilance Universités » sert notamment de réservoir à signatures pour des tribunes et compte parmi ses membres les plus actifs·ves Gilles Denis, Isabelle Barbéris, Véronique Taquin, Yana Grinshpun et Vincent Tournier. De même l’association « Qualité de la Science Française » (QSF) regroupe essentiellement des juristes, des mathématicien·nes et des philosophes sur une ligne conservatrice et élitiste. Parmi ses membres, on trouve Olivier Beaud, professeur de droit public ayant co-dirigé un ouvrage avec J.-M. Blanquer, et Wiktor Stoczkowki (EHESS) qui n’hésita pas à faire porter la responsabilité des attentats terroristes à certains travaux universitaires lors d’un colloque organisé par QSF le 1er février 2020. Également « L’observatoire du décolonialisme* », renommé aujourd’hui « Observatoire des idéologies identitaires » se donne pour mission de défendre la langue, la laïcité et l’école. Les principaux moyens d’action de ces groupes sont les tribunes, les pétitions et les blogs. À partir de novembre 2018, les pétitions et tribunes se succèdent dans Le Point, L’Express, Le Monde. Ces différents « manifestes » sont signés en grande majorité par des universitaires retraité·es, dont certains sont proches du Printemps Républicain, comme Laurent Bouvet, ou du Comité Laïcité République.

La directrice de recherche au CNRS, retraitée depuis 2019, Natalie Heinich, fait la jonction entre ces différents groupes. Elle a rédigé plusieurs tribunes et considère que toute recherche qui ne respecte pas ce qu’elle nomme la « neutralité axiologique* » ne peut être scientifique et représente une attaque contre la liberté académique.

Une offensive contre les travaux universitaires se réclamant du féminisme, des études coloniales ou post-coloniales, ou de toute forme d’étude critique et militante, a donc été menée conjointement par certains personnages politiques et universitaires les 7 et 8 janvier 2022 lors d’un colloque intitulé « Après la déconstruction : reconstruire les sciences et la culture ». Aucun·e organisateur·ice et intervenant·e n’était spécialiste de l’étude des sciences ni de l’histoire universitaire et ce colloque n’était soutenu par aucun institut, laboratoire ou unité de recherche. L’association qui l’a organisé, le « Collège de philosophie » (à ne pas confondre avec le « Collège international de philosophie ») est une association loi 1901 sans légitimité scientifique qui se concentre presque exclusivement à dénoncer l’islamisme sous toutes ses formes. Le colloque s’est tenu à la Sorbonne et a accueilli le ministre de l’Education J.-M. Blanquer : ce colloque n’avait donc pas de caution scientifique et s’apparentait plutôt à une manœuvre politique.

Lors de ce colloque, la sociologue émérite Dominique Schnapper, ancienne directrice d’études à l’EHESS qui a connu, après sa carrière académique, une carrière politique la menant notamment au Conseil Constitutionnel, a pris la parole pour dénoncer une « culture woke* » jamais définie qui donnerait lieu à des travaux sans rigueur menaçant la rationalité des sciences humaines. Thierry Coulon, le président du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres*), un organisme censé être une autorité publique indépendante, a proclamé que l’Hcéres aurait à faire la distinction entre « discours universitaire » et « discours militant ». Mais ces missions ne sont pas celles de l’organisme qu’il préside. C’est pourtant à l’Hcéres que les partisan·es de cette offensive voudraient confier la mission d’enquêter sur contre « l’islamogauchisme à l’Université ». Cette mission n’aurait donc aucune authentique indépendance puisque Thierry Coulhon est l’ancien conseiller présidentiel à l’Enseignement supérieur et à la recherche.

On a assisté, depuis 2018, à une séquence de chasse aux sorcières maccarthyste qui s’est déroulée en trois volets : d’abord médiatique, avec les différentes tribunes et manifestes publiés dans de grands médias publics, puis administratif, avec le remplacement de l’Observatoire de la laïcité par un comité interministériel en juin 2021, et enfin politique, avec la loi « confortant le respect des principes de la République » en août 2021. Sous couvert de défendre la « neutralité axiologique » de la recherche, les universitaires qui se sont engagé·es dans cette offensive, en utilisant le mot-valise « islamogauchisme », ont porté gravement atteinte aux libertés académiques et pédagogiques de leurs collègues, voire parfois à leur carrière et à leur sécurité.

II. La « neutralité axiologique » : une notion mal traduite au service du nationalisme scientifique français.

C’est cette notion de « neutralité axiologique » qu’étudie C. Rabier dans son deuxième article, sous-titré « le fantôme de Raymond Aron* ». Elle trouve son origine dans un texte du sociologue allemand Max Weber* qui parlait, dans une conférence de novembre 1917, intitulée « la Science comme profession », de « werturteilsfreie Wissenchaft ». C’est cette expression, qui fut traduite en 1959 par le philosophe et sociologue Julien Freund par la notion de « neutralité axiologique ». D’après celui-ci, cette traduction lui aurait été suggéré par le politologue et historien Raymond Aron, grand lecteur des sociologues allemands dès les années 1930.

Or, ni Weber ni Aron n’ont soutenu que la science devait ou pouvait être dénuée de tout jugement de valeur. Les travaux et traductions récentes de l’œuvre de Weber par Catherine Colliot-Thélène et d’Isabelle Kalinowski ont pourtant montré que pour celui-ci les scientifiques n’ont aucunement à être neutres. De plus, la fameuse « neutralité axiologique » ne s’applique pour Weber qu’à la situation du cours magistral, dans lequel l’étudiant est privé de parole et du droit à la contradiction. Aron considérait lui aussi pour sa part que toute science « politique au moins implicitement » reposait sur des distinctions de valeurs.

Mais alors pourquoi les universitaires engagé·es dans la chasse aux sorcières contre « l’islamogauchisme » se réclament des concepts de Weber et Aron pour disqualifier toute recherche identifiée comme critique ou militante ? Par stratégie rhétorique.

Aron, fin lecteur de Weber, a utilisé le concept de « neutralité axiologique » et la référence à Weber comme « un marqueur politique », c’est-à-dire un texte que l’on cite sans le lire parce qu’il permet de défendre une communauté dans une polémique scientifique. Ce concept lui servit à critiquer les chercheur·euses engagé·es à gauche et continue aujourd’hui à servir le même rôle de disqualification contre les travaux féministes et/ou antiracistes.

Pourtant, les pratiques de D. Schnapper ou de N. Heinich se réclamant de la « neutralité » n’ont rien de neutre : elles consistent à faire usage d’intimidation, notamment sur les listes de diffusion, à fabriquer des réputations diffamantes à leurs collègues et à leur refuser des financements ou des protections fonctionnelles.

Ces pratiques trouvent leur origine dans l’histoire coloniale française. Aron lui-même s’interrogeait sur la violence légitime pendant la guerre d’Algérie. Les acteur·ices de la chasse aux sorcières « islamogauchistes » semblent ainsi reprendre à leur compte le projet peint au plafond de l’amphithéâtre Liard qui montre une allégorie de l’Histoire tenant entre ses mains une stèle où est gravé Gesta Dei per Francos (« l’action de Dieu passe par les Francs »), qui montre les liens entre un le nationalisme scientifique de la fin du xixe siècle et l’expansion coloniale française.

Une telle préférence pour une conception dépassée de l’histoire et de la science ne viendrait-elle pas d’une insuffisance de la formation universitaire à l’épistémologie et à l’histoire des sciences ?

  1. Lexique

Aron, Raymond (1905-1983) : philosophe, sociologue, politologue et historien français. Résistant, il enseigna après la guerre à l’Institut d’Études Politiques de Paris et à l’EHESS. Il se désolidarisa rapidement de la gauche pacifiste pour se rapprocher de positions libérales et atlantistes. Journaliste, il écrivait dans le Figaro et la revue qu’il avait fondée, Commentaire.

Cancel culture : expression polémique pour désigner toute pratique visant à ostraciser des personnes ou des groupes présents ou passés. Cette expression est souvent utilisée par les mouvements conservateurs pour délégitimer toute critique historique ou féministe de figures ou d’institutions importantes. L’accusation peut aussi renversée lorsque ces mêmes mouvements conservateurs demandent la censure de certains livres ou travaux de recherche qui ne correspondent pas à leur ligne politique.

Culture woke : expression floue et polémique qui trouve son origine dans un terme anglo-américain désignant le fait d’être conscient (« éveillé ») des problèmes liés à la justice sociale et à l’égalité raciale. Cette expression est surtout utilisée, en France, pour disqualifier les recherches féministes et/ou antiracistes (ou toute idée progressiste) comme une forme de militantisme importée des États-Unis qui irait à l’encontre des « valeurs de la République ».

Décolonialisme : les études coloniales, post-coloniales et décoloniales regroupent les différentes recherches scientifiques critiques sur l’héritage culturel des colonisations occidentales, qui regroupent. Le terme de « décolonialisme » employé par « l’Observatoire du décolonialisme » vise à disqualifier ces recherches comme n’ayant aucune rigueur scientifique.

EHESS : l’École des Hautes Études en Sciences Sociales est un établissement public fondé en 1947 qui forme et accueille des chercheurs·euses dans différentes sciences humaines et sociales.

Hcéres : autorité publique indépendante, qui n’est donc pas censée relever de l’autorité du gouvernement, et qui est chargée d’évaluer les établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Son actuel président, Thierry Coulhon a été nommé en juillet 2020 après avoir participé à la sélection qui a conduit au rejet de cinq autres candidats.

Islamogauchisme : mot-valise qui s’écrit parfois « islamo-gauchisme ». Expression polémique, rarement définie, dont la structure ressemble à l’accusation de « judéobolchévisme » qui avait cours dans les années 1930 et qui a permis aux mouvements conservateurs français de créer une panique morale autour d’une hypothétique collusion entre certains mouvements progressistes et l’islamisme radical.

Neutralité axiologique : traduction des expressions allemandes du sociologue Weber « werturteilsfreie Wissenschaft » et « Wertfreiheit ». On lui préfère aujourd’hui les traductions « abstinence axiologique » (C. Coliot-Thélène) ou « non-imposition de valeur » (I. Kalinowski). Cette mauvaise traduction a donné lieu à l’élaboration d’un concept polémique utilisé par les courants de pensée conservateurs pour disqualifier tout travail scientifique qui serait critique ou militant, alors que pour Weber ces expressions ne désignent que l’attitude que doit adopter le ou la professeur·e lors d’un cours magistral, et non une séparation entre ce qui relève de la science et ce qui relève du jugement de valeurs.

Protection fonctionnelle : désigne les mesures de protection et d’assistance dues par l’administration à son agent afin de le protéger et de l’assister contre les attaques dont il fait l’objet dans le cadre de ses fonctions ou en raison de ses fonctions.

Weber, Max (1864-1920) : sociologue et économiste allemand, considéré comme l’un des fondateurs de la sociologie moderne. Parmi ses nombreux travaux, il a analysé l’origine du capitalisme, les différentes religions, les systèmes bureaucratiques, les différentes formes d’autorité, les processus de rationalisation. Il s’est aussi engagé politiquement, notamment en participant à la rédaction de la Constitution de la République de Weimar à la fin de sa vie.

La fausse neutralité des polémiques conservatrices contre la liberté académique

Depuis quelques jours, la question de l’écriture inclusive fait à nouveau l’objet d’une levée de boucliers d’enseignant·es et de chercheur·euses qui s’accommodent agréablement des inégalités entre hommes et femmes, sous couvert de neutralité. Contre la police de la science, défendons la liberté académique !

Depuis quelques jours, la question de l’écriture inclusive fait à nouveau l’objet d’une levée de boucliers d’enseignant.e.s et de chercheur.euse.s qui s’accommodent agréablement des inégalités entre hommes et femmes, sous couvert de neutralité. Ce ne sont rien moins que la section 17 du CNU (Conseil National des Universités), dédiée au suivi des carrières en philosophie, et le CNRS, qui font l’objet de l’opprobre et de la suspicion, sommés de s’amender pour sauver leurs réputations respectives.

Dans une récente motion, la première propose de mettre en visibilité les violences sexuelles et sexistes, et de reconnaître l’engagement des chercheur.euse.s qui luttent contre ces violences :

« Au moment de l’examen de l’évolution de la carrière, la section 17 du CNU s’engage à prendre en considération les responsabilités liées à l’instruction et aux suivis des violences sexistes et sexuelles, nous invitons les candidat·e·s aux promotions, congés et primes à l’indiquer expressément dans leur dossier. »

Sur son blog, la philosophe Catherine Kintzler s’inquiète de la « prise en compte [des politiques d’égalité de genre] de manière aussi insistante dans le processus de recrutement ». Or la motion du CNU traite de « l’évolution de la carrière ». Car les recrutements ne sont pas du ressort du CNU : Catherine Kintzler l’aurait-elle oublié ?

A cette inquiétude s’ajoute encore la crainte qu’une reconnaissance de ces éléments ne crée un biais fâcheux dans le monde de la recherche, favorisant certains terrains plutôt que d’autres, certain.e.s collègues plutôt que d’autres, alors que les carrières ne devraient tenir compte ni de de l’utilité sociale des travaux académiques, ni de l’implication du scientifique dans la cité. Mme Kintzler ne semble pas craindre pour autant que la non-reconnaissance et l’absence de prise en compte de ces éléments ne favorisent leur neutralisation, créant un biais en faveur des recherches qui occultent et invisibilisent ces violences.

Se situant dans la ligne de celles et ceux qui présupposent que les chercheur.euse.s, quand ils et elles produisent des contenus, se situent sub specie aeternitatis, adoptant un point de vue de Sirius, elle réitère le fantasme d’une universalité émergeant « de nulle part », comme si cette dernière n’était pas le fruit de la discussion démocratique, du dissensus et de la mise en œuvre de formes de rationalité qui fabriquent de l’universel. Elle s’appuie également sur le mythe de la neutralité du scientifique, dont l’intégrité serait mise en péril par son existence en tant que citoyen.ne, ses activités associatives, son idéologie.

Ainsi, vouloir inclure la part de l’humanité discriminée en raison de son appartenance de genre, poser cette question de l’égalité à même l’usage du langage, c’est faire preuve d’« idéologie ». Consacrer du temps à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, y compris dans son travail de recherche, y compris au sein de sa propre institution, c’est faire preuve d’« idéologie ». A l’inverse, invisibiliser ces violences, ce serait cela, la neutralité. Tenir les contenus académiques à l’abri du monde réel, se défendre d’aborder des enjeux politiques ou sociaux, c’est-à-dire s’en tenir au statu quo politique, s’accommoder des inégalités et cautionner des dispositifs d’oppression et de domination, bref, être un militant conservateur, être un militant réactionnaire, c’est cela, la neutralité. Comme si l’idéologie n’était pas le vecteur de toute pensée quelle qu’elle soit, et comme si la pensée se fabriquait hors des cadres théoriques et des contextes sociaux qui permettent son émergence.

Dans le même temps, une tribune, réunissant les 70 signatures de chercheur.euse.s conservateur.rice.s, et parmi elles, de militant.e.s d’une laïcité identitaire, écrit son indignation face à la publication sur le Journal du CNRS, d’un article journalistique évoquant la sensibilité de nombreux.euse.s chercheur.euse.s à l’usage de l’écriture inclusive. Les auteur.rice.s de la tribune déplorent que seuls les arguments favorables à ce mode d’écriture soient présentés dans l’article, sans qu’y figurent les arguments de fond critiques de l’écriture inclusive – tout en admettant que le papier en question est un article journalistique et non pas académique ou scientifique.

Mais tout à coup, on saute du coq à l’âne, et les auteur.rice.s de cette tribune ne résistent pas à passer de l’écriture inclusive à l’autre cheval de bataille que constitue pour eux l’ « islamo-gauchisme », appellation incontrôlable, créée en 2002 par Pierre-André Taguieff (signataire de cette tribune) pour stigmatiser les défenseurs des Palestiniens, puis revendiquée comme insulte par les militants d’extrême-droite et reprise en chœur par les dignitaires de la mouvance réactionnaire actuelle. Militant pour la reconnaissance d’une réalité du « phénomène islamogauchiste » – et niant symétriquement toute réalité au phénomène rationnellement étayé de l’islamophobie – ce groupuscule de chercheur.euse.s affirme sans ambiguïté son positionnement politique identitaire et réactionnaire. A rebours des méthodes les plus fondamentales des sciences sociales, il s’appuie sur le déni de la parole des premier.ère.s concerné.e.s par les discriminations, qui sont, elles et eux, véritablement « hors cadre scientifique », tenu.e.s en lisière, hors champ du monde académique, alors même que l’une des missions officielles des enseignant.e.s-chercheur.euse.s est de contribuer au dialogue entre sciences et société.

Le sempiternel argument mobilisé par les auteur.rice.s considère que la défense progressiste de l’égalité et la lutte contre les discriminations relèvent du militantisme, alors que la défense conservatrice du statu quo inégalitaire consiste en une neutralité politique qui serait compatible avec la rigueur scientifique. Ainsi, toutes les positions autres que la position politique conservatrice et/ou réactionnaire des auteur.rice.s de la tribune se retrouvent disqualifiées et suspectes d’un mélange des genres entre savoirs et « idéologies », « hors cadre scientifique ».

Nous, membres de la CAALAP, protestons contre ces tentatives de censure politique au nom de la neutralité, qu’il s’agisse de l’écriture inclusive ou des travaux documentant les discriminations, notamment racistes et islamophobes. Nous condamnons fermement les entraves à la liberté académique, d’autant plus choquantes quand elles émanent de chercheur·es, à la retraite ou non, qui prétendent faire la police de la science par voie de presse.

Actualités du fascisme : l’ordre sexuel à l’école

A l’occasion du 90ème anniversaire de la tentative de renversement de la république par l’extrême droite le 6 février 1934

A l’heure des 90 ans de la manifestation des ligues fascistes du 6 février 1934, le projet fasciste continue de lorgner vers l’école. L’accent mis par un certain nombre de politiques français sur la « bataille culturelle » (Eric Zemmour), la « métapolitique » (Marion Marechal) ou les « victoires idéologiques » (Marine Le Pen) font de l’école le terrain idéal pour la restauration d’une autorité perdue et d’un ordre moral profondément inégalitaire et répressif. Tourné vers le patriotisme et la préférence nationale, l’ordre que défendent les projets scolaires propres aux extrêmes-droites est aussi un ordre sexuel, réactivant les principes de domination du patriarcat, l’essentialisme de genre,
l’hétéro-normativité et une profonde inégalité « naturelle » entre les garçons et les filles.

L’actualité de la question du genre à l’école et plus loin, de l’éducation à la sexualité, est « brûlante », en un sens dramatique et inquiétant. Rapport d’inspection sur le lycée Stanislas, désaveu par les autorités politiques de la CIIVISE1, réactions violentes à la loi EVRAS2 en Belgique, rumeurs et panique morale autour des ABCD de l’égalité3, campagnes de calomnie de Parents Vigilants… des faits nombreux et récurrents donnent un aperçu de l’organisation de l’offensive fasciste pour (r)établir un ordre sexuel fantasmé. Ces faits nous obligent à prendre au sérieux la vision fasciste de la vocation naturelle des femmes et des hommes, ainsi que la référence à une sexualité naturalisée chargée de violence. À nous de nous interroger sur les armes d’une école émancipatrice porteuse d’égalité face à l’ampleur de la menace.

L’école pensée par la IIIème République est elle-même pleine d’ambiguïtés : d’un côté, elle défend un projet d’émancipation pour tous et la transmission de l’héritage révolutionnaire destiné à former des générations de citoyens. Pour rappeler cela, nul besoin d’utiliser l’écriture inclusive, car dans le même temps, l’école de Jules Ferry se déploie dans une visée conservatrice de l’ordre social institué, et en particulier, d’un ordre patriarcal. Ainsi, « Les Instructions officielles du 27 juillet 1882 se proposent de « faire acquérir aux jeunes filles les qualités sérieuses de la femme de ménage ». Quant à Camille Sée, le promoteur de la loi instituant l’enseignement secondaire public féminin votée en décembre 1880, il affirme que « ce n’est pas un préjugé, c’est la nature elle-même qui renferme les femmes dans le cercle de la famille. Il est de leur intérêt, du nôtre (sic), de l’intérêt de la société tout entière, qu’elles demeurent au foyer domestique. Les écoles qu’il s’agit de fonder ont pour but, non de les arracher à leur vocation naturelle, mais de les rendre plus capables de remplir les devoirs d’épouse, de mère et de maîtresse de maison. 4»

Dès la fin du XIXème siècle, le projet politique de l’école est pris dans une tension entre les valeurs émancipatrices de ses fondateurs révolutionnaires et le conservatisme essentialiste appuyé sur les inégalités de genre, de classe et de race. De cette tension émergent des fils qui se tissent et se nouent jusqu’à aujourd’hui, opposant des visions différentes, voire opposées de l’école : émancipatrice ou autoritaire, porteuse d’égalité ou (re)productrice d’un ordre social inégalitaire.

La nature éminemment politique de toute vision de l’école se trouve souvent masquée par une forme de protestation d’innocence, qui revendique la « neutralité » de l’école, comme si c’était la condition d’une transmission des savoirs et d’une justice scolaire impartiale. Dans le débat public, le recours à la neutralité est fréquemment utilisé par les promoteurs d’une école partiale, discriminatrice, orientée sur la préférence nationale et sur la préférence masculine. Cette conception fasciste de l’école se prétend « neutre » au sens où elle serait tout simplement inscrite dans un ordre naturel, au diapason de lois immuables et nécessaires. À l’inverse, les partisan·e·s d’une école dont l’existence en tant qu’institution ne peut être justifiée que par sa capacité émancipatrice et transformatrice de la société vers un idéal de justice et d’égalité, celleux-là sont taxé·e·s d’idéologues. La recette est éculée, qui consiste à dépeindre les progressistes comme de dangereux ennemis du bien public par celleux qui défendent un intérêt de caste profondément genré.

En creux, la conception réactionnaire de l’école bascule les questions de genre, ainsi que toutes les questions sociales autour desquelles se joue le projet émancipateur, dans la sphère du privé. Ainsi, ce ne serait pas aux instituteur·rice·s ni aux professeur·e·s de prendre en charge l’éducation affective et sexuelle, ni à l’école de se prononcer sur les relations entre genres en adoptant, par exemple, la mixité, en déculpabilisant l’homosexualité ou en se donnant les moyens de repérer les violences sexuelles sur les mineur-e-s, mais à l’institution traditionnelle de la famille. Cette privatisation de tous les lieux et les liens émancipateurs, dans lesquels les êtres sont susceptibles de s’organiser de façon démocratique et devenir autonomes, échafaude une concurrence entre les professeur·e·s et les parents, bien décidés à rester « vigilants ».

Le fait que l’école puisse effectivement jouer à plein son rôle émancipateur suscite un effroi légitime chez les privilégiés, les établis qui détiennent des éléments de pouvoir, réels ou fantasmés. La possibilité d’un ordre plus égalitaire, signifiant l’abolition des privilèges de certains, ne pouvait et ne peut que continuer de paraître effrayante à ceux qui s’accrochent à ces privilèges ou espèrent les restaurer. Il n’est que de rappeler la violence de la campagne fasciste de Drumont envers le pédagogue libertaire Paul Robin, critique de l’autoritarisme, artisan de la mixité scolaire. Dans son école de Cempuis, il expérimente dès 1880 la « coéducation des sexes », ce qui lui vaut l’invective récurrente de La Libre Parole, qui considère l’école mixte comme un « système pornographique 5».

Sur l’ordre sexuel, les affinités entre le conservatisme républicain et la pensée fasciste sont fortes. Le fascisme, entendu comme idéologie fusionnant un nationalisme organique et une révolte anti-rationaliste, rejoint l’esprit conservateur qui milite pour la préservation/restauration de l’ordre patriarcal colonial (Jules Ferry en est à nouveau la parfaite illustration). Qu’est-ce qui, dans la pensée fasciste, rend si centrale la question de l’ordre sexuel, suscitant des réactions parfois très violentes ?

Pour le saisir, il faut analyser l’imaginaire sexuel fasciste. La peur du grand remplacement, favorisé par un grand endoctrinement à l’école, est une constante des mouvances fascistes, toujours endogames : une panique sexuelle. Le travail du psychologue Wilhelm Reich6 a pris à bras-le-corps cette question : à l’apogée du nazisme allemand, il s’est demandé pourquoi les masses paupérisées, touchées par la crise économique, s’étaient tournées vers l’extrême-droite nationaliste, s’étaient si massivement enrôlées dans le fascisme, au mépris de leurs propres intérêts. Comment un mouvement qui défend explicitement (parfois avec une certaine duplicité, il est vrai) des intérêts de classe (en gros, de la bourgeoisie), a-t-il pu rallier tant de personnes de toutes catégories ?

Le travail de Reich permet d’éclairer cette contradiction en intégrant aux analyses sociologiques les données sexuelles. Et ces données font état d’une sexualité largement réprimée dans les milieux en question, en particulier chrétiens, refoulée par les individus. La répression sexuelle a participé à la mise en place d’un patriarcat très autoritaire, employant la religion chrétienne à des fins répressives. Cet ordre patriarcal a été essentiellement institué au sein de la famille autoritaire.

Ainsi, pendant toute la première moitié du XXème siècle, les projets d’éducation sexuelle étaient ouvertement sexistes, dirigés par des soucis natalistes et eugénistes, puisqu’il s’agissait de prévenir une dégénérescence de la race en apprenant aux filles à devenir de bonnes mères et aux garçons à éviter les maladies vénériennes. Même sous cette forme, de tels projets furent rejetés par les associations de familles d’extrême-droite qui considéraient, avec des mots qui rappellent les paniques morales actuelles, qu’il s’agissait d’un enseignement pornographique et que l’éducation sexuelle était la prérogative des familles, et non de l’institution scolaire. Cette demande de neutralité, voire de silence total, ne venait pas tant d’un refus de l’éducation sexuelle, vue comme un moyen d’imposer une vision de la famille conservatrice, que de la crainte de voir cette éducation entre les mains
d’instituteur·ices qui pourraient promouvoir d’autres visions de la famille et des rapports de genre.

Ce n’est qu’en 1973 avec la circulaire Fontanet, arrachée grâce aux luttes d’enseignant·es comme la professeure de philosophie Nicole Mercier, d’élèves et de syndicats, qu’une éducation sexuelle (et non simplement de l’« information sexuelle ») réellement émancipatrice est entrée – certes avec beaucoup d’hésitations et de précautions oratoires – dans les programmes scolaires. Comme le faisait alors remarquer l’association des professeurs de biologie, il s’agissait de ne plus réduire le sexuel au génital, en étudiant que les fonctions biologiques de la procréation, mais d’intégrer ces connaissances à une étude des différentes pratiques sentimentales et sexuelles
(contraception, plaisir, relation à autrui, égalité entre hommes et femmes) pour protéger les élèves contre des attitudes irresponsables vis-à-vis des autres et de soi-même7.

On pourrait ainsi croire que le triomphe du libéralisme et la révolution de Mai 68, trauma des réactionnaires de tous poils, a sonné le glas de cette politique sexuelle autoritaire. Mais il n’en est rien et elle perdure, nourrie par l’angoisse sexuelle et les inhibitions de ceux qui ne sont pas triomphants sur le marché sexuel néolibéral. La réaction politique, au sens réactionnaire, émane de la tension produite entre l’angoisse sexuelle et le désir d’une liberté sexuelle puissamment refoulée, censurée, déplacée sur les autres : les corps immigrés, les Noirs et les Arabes, dépeints comme autant de prédateurs sexuels, ainsi que les femmes « libérées »… L’homme réactionnaire éprouve une profonde insécurité sexuelle, alimentée par des situations de défaites militaires, de vulnérabilité et par
la peur, qui lui fait craindre d’être remplacé par d’autres hommes sexuellement plus performants ou par des femmes. Il lui reste l’institution de la famille pour affirmer sa puissance sexuelle et sa virilité en tant que géniteur, par le biais de la reproduction.

Cette panique sexuelle s’exprime explicitement dans les discours de bien des hommes politiques d’extrême-droite : « Le besoin des hommes de dominer – au moins formellement – pour se rassurer sexuellement. Le besoin des femmes d’admirer pour se donner sans honte 8» prétend Eric Zemmour. Elle a pour effet d’engendrer un revers sadique, qui vise à renforcer la répression sexuelle en la déplaçant sur l’objet du désir frustré : la femme. Ce sadisme s’affirme dans la légitimation d’une sexualité naturelle qui soumet la femme à la violence masculine9 et tolère avec bonhomie les violences sexuelles faites aux femmes (voir la tribune initiée par l’éditorialiste de Causeur apportant son soutien à l’acteur Depardieu dans le contexte de sa mise en examen pour viol).

Le contexte actuel nous contraint à nous ressouvenir de 1934 et mérite un bref état des lieux des mobilisations fascistes, notamment sur la mission attribuée à l’école d’être l’instrument de la politique sexuelle fasciste.

Une telle politique se donne à lire dans le rapport des inspecteurs de l’Éducation Nationale sur le Collège-Lycée Stanislas, pointant le non-respect des programmes de SVT et d’éducation sexuelle et affective. Les pratiques et discours sexistes, homophobes et autoritaires de cet établissement privé catholique concordent avec l’esprit réactionnaire des familles qui inscrivent leurs enfants dans cette institution. Cet exemple illustre le danger de reléguer l’éducation sexuelle et affective dans la sphère privée et la nécessité de l’établir dans l’école publique pour protéger les enfants, leur santé, leur avenir comme le préconise le rapport de la CIIVISE. « Préconisation 80 : Assurer la mise en œuvre effective à l’école des séances d’éducation à la vie sexuelle et affective et garantir un contenu d’information adapté au développement des enfants selon les stades d’âge. 10»

Dans le livret de formation à destination de tous les professionnels qui ont la charge des enfants, la commission de la CIIVISE mentionne11 le besoin de sécurité comme un méta-besoin conditionnant la satisfaction de tous les autres : « Il inclut les besoins physiologiques et de santé (être nourri, vêtu, logé, soigné, dormir selon des rythmes réguliers), le besoin de protection contre toute forme de violence, de négligence ou de danger et le besoin primordial de sécurité affective et relationnelle (bénéficier d’une figure de sécurité qui prend soin de lui de façon adaptée, continue et cohérente)».

Or, ce besoin n’est pas toujours respecté dans les familles. Toutes les enquêtes sur les violences sexuelles et incestueuses établissent que 95,2 % des agresseurs sont des hommes et que dans la plupart des cas, ils font partie de la famille ou de l’entourage proche. Le rapport de la CIIVISE porte au public une réalité douloureuse et difficile à admettre : la famille est un lieu où la domination masculine et les violences sexuelles incestueuses se sont exercées pendant des siècles et continuent de s’exercer sur les femmes, ainsi que les mineur-es de moins de 18 ans. Ces dernièr.es situé.e.s dans un rapportd’asymétrie vis-à-vis des adultes, sont les victimes privilégiées de ceux qui continuent à se prendre pour des chefs de famille.

C’est cet ordre sexuel-là, constitué de domination patriarcale, d’inégalités de genre, de violences sexuelles, d’hétéronormativité homophobe et transphobe, que défendent les nouvelles ligues fascistes reconstituées au XXIème siècle, à travers les groupes de pression des Parents Vigilants, des Mamans Louves, des groupes identitaires ou nationaux-révolutionnaires, jusqu’aux projets des partis politiques d’extrême-droite. C’est contre cet ordre sexuel fasciste que la CAALAP défend une école éclairée et égalitaire, porteuse d’une éducation sexuelle et affective émancipatrice.

  1. Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants, installée en mars 2021 en France ↩︎
  2. Éducation à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle, mise en place dans les régions francophones de Belgique
    depuis 2013. ↩︎
  3. Les ABCD de l’égalité étaient un programme d’enseignement luttant contre les stéréotypes de genre et le sexisme expérimenté à partir de 2013 en classes maternelles et élémentaires. ↩︎
  4. Grégory Chambat, Quand l’extrême-droite rêve de faire école. Une bataille culturelle et sociale, Editions du Croquant, 2023, p.20. ↩︎
  5. Cité par Grégory Chambat, op. cit. , p.23. ↩︎
  6. Wilhelm Reich, La psychologie de masse du fascisme, [1933], tr. fr. Pierre Kamnitzer, Payot, 1972. ↩︎
  7. Voir Claude Lelièvre et Francis Lec, L’école, les profs et la sexualité, Odile Jacob, 2005, chapitre 6. Les difficultés qui persistent aujourd’hui pour organiser les deux heures d’éducation à la sexualité obligatoires à chaque niveau montrent que, dans les faits, cet objectif d’une éducation sexuelle émancipatrice est loin d’être atteint. ↩︎
  8. Eric Zemmour, Le suicide français, Paris, Albien Michel, 2014, p. 33. ↩︎
  9. « Tout au long des siècles et dans toutes les civilisations, les femmes ont essayé d’espacer les naissances, sans trop lésiner sur les moyens ; mais ce prosaïsme malthusianiste et ce réflexe de survie n’ont jamais empêché les hommes de leur arracher « le fruit de leurs entrailles », pour l’offrir à Dieu, à la tribu, au peuple, à la nation, à la classe ouvrière. » Eric Zemmour, op. cit., p.137-138. ↩︎
  10. p. 32 rapport de synthèse, violences sexuelles faites aux enfants, « on vous croit ». ↩︎
  11. p.23, violences sexuelles faites aux enfants, Repérer et signaler. ↩︎