Le Monde, 5 décembre 2020
Un collectif de plus de mille membres issus principalement de la recherche et del’enseignement, parmi lesquels Eric Fassin ou François Héran, mais aussi des personnalités comme la romancière Annie Ernaux, prend position en défense de la philosophe Sophie Djigo, cible de menaces de l’extrême droite qui ne supporte pas son engagement en faveur des migrants.
TRIBUNE
Notre collègue Sophie Djigo est philosophe et chercheuse, enseignante en classespréparatoires, autrice de plusieurs ouvrages de référence sur la question des migrations et fondatricede l’association Migraction59 pleinement engagée dans le soutien aux migrants à Calais.
Elle est actuellement la cible des attaques de plusieurs mouvements d’extrême droite, sur les réseauxsociaux desquels son nom, sa photo, les vidéos de ses interventions et son adresse professionnellesont diffusés et exposés à la vindicte et au lynchage médiatique. Elle reçoit depuis des semaines desinsultes, subit des harcèlements et des menaces de mort explicites, dont la montée en puissance l’aconduite, suite à une nouvelle escalade, à demander la protection fonctionnelle le 28 novembre.
Un communiqué de presse de Reconquête ! et un autre du Rassemblement national la désignent explicitement comme corruptrice de la jeunesse par son activité enseignante, criminalisant par là la simple action pédagogique de sensibilisation aux pratiques solidaires, qui fait pourtant partieintégrante et reconnue d’une éducation à la citoyenneté. En effet, le prétexte de ce déchaînement est l’organisation d’une sortie d’étudiants de classes préparatoires pour témoigner des conditions de vie des personnes migrantes à Calais et des formes de solidarité qui leur sont apportées.
Stigmatisations ministérielles
Des chercheurs et des enseignants sont ainsi régulièrement exposés à la violence de ces réseaux et àleurs manoeuvres d’intimidation. Et les collusions entretenues entre le pouvoir politique et lespuissances d’extrême droite, favorisées par les stigmatisations ministérielles à l’encontre des « islamo-gauchistes », introduisent une banalisation de la violence xénophobe et raciste.
La brutalité des insultes et des intimidations subies par notre collègue atteste donc d’une véritableoffensive coordonnée et décomplexée, plus particulièrement dans le Nord en ce moment, où d’autrescollègues universitaires subissent collectivement des attaques similaires.
Politiques xénophobes et liberticides
Et pourtant, elle a dû renoncer à l’organisation d’une rencontre entre ses élèves et les bénévoles de l’Auberge des migrants, à Calais, par crainte d’une descente violente des associations xénophobes qui en ont divulgué la date. Et cette forme d’intimidation constitue un véritable bâillon culturel. La violence qui atteint actuellement Sophie Djigo est une cote d’alerte des dérives qui nous atteignenttous, et dont la défense des exilés constitue un emblème. C’est en ce sens à un refus collectif des politiques xénophobes et liberticides que nous appelons, par le soutien inconditionnel qui doit lui être manifesté.
Nous n’exigeons donc pas seulement une réponse gouvernementale claire à des attaques aussidangereuses qu’inacceptables du point de vue même du droit tel qu’il s’inscrit dans la Constitution,afin de permettre la défense de notre collègue et de toutes celles et ceux qui subissent cette violence.Mais nous exigeons aussi qu’il soit mis fin aux collusions – implicites ou explicites – qui font del’idéologie fasciste un véritable facteur d’imprégnation des mentalités, et constituent par là même undanger massif à tous les niveaux de la décision étatique.
https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/12/05/stop-a-l-impunite-du-dechainement-et-des-intimidations-fascistes-contre-sophie-djigo_6153040_3232.html