Maboula Soumahoro est chercheuse spécialiste de la diaspora noire/africaine. Elle a été sollicitée par le Parlement européen pour intervenir le 21 novembre 2024, dans une table ronde destinée à promouvoir l’égalité et l’inclusion au travail. À la suite d’une guerre lancée contre elle par l’extrême droite, la table-ronde a été annulée. La question n’est déjà plus celle de la falsification des arguments. La question est celle du crédit accordé, dans une institution internationale, aux différentes formes de la représentation néofasciste.
Maboula Soumahoro, chercheuse spécialiste de la diaspora noire/africaine, a publié en 2020, Le Triangle et l’Hexagone, croisant son champ d’études, menées aux États-Unis et en France, avec sa propre expérience de Française issue de la diaspora ivoirienne. Une expertise doublement légitime, largement reconnue des deux côtés de l’Atlantique. Elle a, pour cette raison, été sollicitée par le Parlement européen pour intervenir le 21 novembre 2024, dans une table-ronde destinée à promouvoir l’égalité et l’inclusion au travail.
À la suite d’une véritable guerre, lancée contre elle par les représentants de l’extrême droite française, la table-ronde a été annulée : un parti ouvertement raciste dans ses propos, dans ses actes et dans sa tradition s’autorise à récuser l’expertise d’une chercheure noire reconnue… au nom de son « racisme anti-blanc », argument devenu, de notoriété publique, le fer de lance des fascistes de tout bord pour faire taire les racisé·es. C’est ainsi que notre collègue s’est retrouvée triplement victime : d’une annulation de la formation prévue ; d’une campagne de haine violente et négrophobe sur les réseaux sociaux actionnés par les parlementaires d’extrême-droite ; d’une accusation de racisme de la part de ces mêmes parlementaires. Par une mise en abyme révélatrice, c’est précisément ce qu’analyse Maboula Soumahoro dans son livre. Le mode opératoire a fait l’objet d’une formalisation officielle lors du colloque organisé par Reconquête ! au Palais du Luxembourg en 2023 : employer des méthodes d’intimidation pour faire annuler un événement scientifique, puis brandir cette annulation en trophée, avant de livrer le chercheur en pâture aux réseaux néofascistes qui orchestrent la haine en ligne.
De fait, le retournement de l’imputation est devenu commun à l’extrême droite fasciste et à l’autoritarisme néolibéral. Cette perversion du vocabulaire n’est pas difficile à mettre en évidence : c’est la ritournelle de l’innocence persécutrice, largement usitée par le nazisme historique. L’accusation de « racisme » jetée à la figure de notre collègue n’est que l’autre face de la stratégie néofasciste de normalisation du racisme selon laquelle le racisme ne serait qu’une opinion, et les savoirs critiques de la race, une « idéologie ». En orchestrant cette confusion, l’extrême droite espère sortir blanchie de son racisme fondamental. Comme elle instrumentalise le massacre du 7 octobre 2023, pour se blanchir de son antisémitisme constitutif par un soutien au colonialisme du pouvoir israélien.
Mais il est clair qu’au niveau décisionnaire du Parlement européen, la question n’est déjà plus celle de la falsification des arguments. La question est, beaucoup plus stratégiquement, celle du crédit accordé, dans une institution internationale, aux différentes formes de la représentation néofasciste. Le 3 juillet 2019, le sociologue Saïd Bouamama, sur ordre du Ministère de l’Intérieur faisant suite aux pressions de l’extrême droite, avait été interdit de présence à un colloque sur l’extrémisme violent, qu’il co-organisait. Le 24 septembre 2020, la grande juriste Danièle Lochak, à l’Assemblée Nationale, se voyait traitée, par le président LR d’une Mission sur le Racisme, non en experte, mais en prévenue, accusée de constituer une « menace à l’ordre républicain ». C’est maintenant au Parlement européen que se joue cette chasse aux chercheur.es critiques antiracistes – tout particulièrement quand ils et elles sont racisé·es –, menée par l’attelage d’une droite décomplexée et d’une extrême droite déchaînée poussée sur le devant de la scène.
Alors que des parlementaires d’extrême droite s’expriment sans retenue par voie de presse, alors que les réseaux sociaux identitaires et néonazis de la même grande famille politique profèrent des insultes et des menaces de mort, la décision du Parlement européen résonne comme un acquiescement, disant la puissance effective du néofascisme au cœur même des institutions démocratiques qui sont supposées, par définition, s’y opposer.
Il n’y a rien d’inédit à ce que le fascisme emprunte la voie démocratique pour conquérir le pouvoir, l’histoire l’a suffisamment montré. Qu’il le fasse avec une telle aisance, une telle arrogance et sans rencontrer le moindre obstacle, sonne à nos oreilles l’alerte d’un véritable renoncement que l’historien Marc Bloch aurait clairement qualifié de munichois.
Cela pose bel et bien la question de savoir de quel côté se trouve l’« extrémisme violent » : celui des chercheur·es qui ont le courage d’en questionner l’origine, ou celui des pouvoirs qui imposent le silence à ces chercheur·es ?