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APPEL DE LA CAALAP

Dans un contexte général de montée en puissance de l’extrême droite en France, une offensive fasciste frappe actuellement violemment l’enseignement. La coordination réunit donc des enseignant.es du primaire, du secondaire et de l’université, déterminés à faire barrage aux manœuvres d’intimidation et de menaces propres aux méthodes de cette minorité performative, agissante, à laquelle le pouvoir en place tend plutôt à ouvrir des portes, en opposition flagrante à tous les principes de citoyenneté affirmés par l’Éducation nationale.

En effet, il nous semble crucial de faire front ensemble, à tous les niveaux de l’enseignement et de la recherche, tous.tes visé.es de manière violente par le négationnisme d’extrême-droite.

Depuis 2022, des militants du parti Reconquête ont mis sur pied le réseau Parents vigilants, dont l’objectif est de faire pression sur les enseignant.e.s pour purger les programmes de tous les éléments de réel qui viendraient fragiliser les rhétoriques d’extrême-droite. Chaque semaine, partout en France, des enseignant.es sont ciblé.es pour avoir simplement fait leur travail. Ils et elles se retrouvent taxé.es de propagande, jeté.es à la vindicte des réseaux sociaux, menacé.es jusque dans leur vie personnelle et leur vie tout court (appels explicites au viol, au lynchage et au meurtre).

Des procédures d’intimidation, de multiples violences enjoignent aux enseignant.es chercheur.euses de se museler, de censurer les programmes sous la menace de représailles. Enseigner la réalité des faits sur l’histoire coloniale, sur la Shoah, les questions migratoires ou encore le concept de genre devient une prise de risques, et l’enseignement, un métier dangereux.

Dans un tel contexte, où ces attaques sont devenues un mode opératoire bien huilé, où les institutions de l’Éducation Nationale et de l’Enseignement Supérieur sont explicitement dans le viseur des identitaires et des partis d’extrême-droite, la CAALAP appelle les collègues à s’organiser de façon solidaire pour stopper ces agressions et défendre nos enseignements.

La Coordination déploie son action autour de trois axes :

1) Une base d’information : il s’agit de réunir les informations et les analyses des mouvances fascistes réactivées, de dresser un état des lieux, de mettre en visibilité les multiples cas de pressions subies par des enseignant.es et chercheurs partout en France, trop souvent invisibilisées.

2) Un volet formation : il consiste à créer des outils pour enseigner dans le contexte de fascisation du pouvoir et des réseaux sociaux. Comment enseigner l’histoire coloniale à des élèves conditionnés au racisme ? Comment enseigner la Shoah à des élèves conditionnés à l’antisémitisme ? Comment présenter la théorie du genre à des élèves conditionnés à l’homophobie ? Comment enseigner le fait migratoire à des élèves conditionnés à la xénophobie ? Comment faire valoir comme principe d’éducation l’inacceptabilitité de toutes les formes de discrimination, quand les défenseurs des droits sont poursuivis par un Ministère l’intérieur lui-même inféodé à l’extrême-droite ? Il nous faut réfléchir à des méthodes collectives d’enseignement, nourries par la recherche, afin non seulement de ne pas déserter, mais bien plutôt de réactiver et revitaliser ces champs du savoir et d’une éducation à la défense des droits fondamentaux.

Ces outils peuvent être discutés et diffusés par le biais de formations syndicales, en lien avec VISA, et par le biais de l’Ecole Académique de Formation Continue dans l’enseignement primaire et secondaire. Leur nécessité doit ainsi pouvoir être affirmée et reconnue.

3) Un guide d’autodéfense pratique en cas d’attaque : il repose sur la mise en place d’une cellule de crise, constituée de personnes ressources, dont les compétences et l’expérience doivent permettre de soutenir les collègues victimes de pressions ou d’attaques fascistes. Des personnes aux compétences identifiées (dans le domaine du droit comme dans celui des sciences sociales ou de leur propre expérience devenue expertise) pourront orienter les collègues concernés et leur éviter un isolement synonyme de vulnérabilité. Le collectif pourra aussi être un interlocuteur vis-à-vis de la direction d’un établissement, du rectorat d’une académie ou d’une présidence d’université.

Étant donné la systématicité et la récurrence des pressions et attaques subies par les enseignant.es, il est urgent de nous mobiliser pour que plus aucune de ces pressions ne soit tolérée, pour dresser un barrage intransigeant et ferme contre le fascisme.

Nous appelons chacun.e à participer à ce collectif activement, à se mobiliser en proposant ses compétences dans l’un ou plusieurs des trois axes ci-dessus.

Brèves

Actualités

  • Stop à la laïcité falsifiée

    La laïcité est falsifiée, la laïcité est dévoyée ! Jamais une Marine Le Pen ou un Gabriel Attal n’aurait pu se réclamer de la laïcité de 1905 ! La Laïcité s’est d’abord UMPénisée en 2004 et elle est désormais Lepénisée !

    Depuis 1989, la conception de la laïcité se fonde sur des « affaires » médiatiquement construites. Les politiques n’interviennent, en général, que dans un second temps, en se trouvant constamment exposés face aux médias. Les politiques de l’extrême-droite et de l’extrême-centre1 qui se caractérisent par l’absence de colonne vertébrale l’ont parfaitement compris : Pour faire disparaitre des écrans les émeutes de l’été 2023, les classes délabrées et sans enseignant.es, Gabriel Attal publie à la rentrée une note interdisant le port des abayas et quamis au sein des établissements scolaires. Le seul avantage de cette campagne politico médiatique est qu’elle aura permis aux gens curieux d’apprendre que le terme abaya désigne en arabe littéraire une robe et celui de quamis une chemise. En faisant entrer ces termes dans l’usage courant de la langue française, peut-on espérer que l’ancien ministre de l’éducation nationale ait contribué à déjouer les peurs et préjugés qui conduisent à juger l’autre plutôt que le comprendre ?2 Qu’il ait aidé à défaire le communautarisme républicain et la ghettoïsation sociale ? En mars 2006 l’International Crisis group publiait un rapport de 27 pages au sujet des émeutes de 2005 et de la situation des banlieues montrant qu’il n’y a pas de communautarisme musulman 3:

    • Le taux de mariage mixte, y compris chez les femmes, dans la population musulmane d’origine magrébine, de divorce et donc de familles monoparentales est élevé ; en revanche le taux de mariage mixte à considérablement baissé en 2004 sans jamais revenir au taux record de l’année de 2003.
    • Alors qu’il y a beaucoup de lycées catholiques et juifs, il n’existait en 2005 que deux écoles musulmanes, mais suite à la loi de 2004, des collectes se sont organisées pour la création d’école privées musulmanes ;
    • Les projets individuels ou de petits groupes (mosquées de quartier, boucherie Hallal, organisation de pèlerinage …) marchent mieux que de grands projets collectifs ;
    • La cité fait très souvent office de repoussoir et le rêve secret de beaucoup est de partir ;
    • Dans les élections politiques, les listes communautaires sauf exception tournent au fiasco.

    La situation a-t-elle changé en 2024 ? A-t-on vu lors des émeutes de 2023 provoquées par la mort de Nahel, par le tir à bout portant d’un policier destiné à arrêter un jeune homme dont le seul délit était de conduire sans permis, des hommes barbus habillés en quamis, entourer la jeunesse pour l’envoyer à l’assaut des supermarchés et bâtiments au fronton desquels est écrit : liberté, égalité et fraternité ? C’était tellement faux, même pour les médias bollorisés, qu’il a fallu transformer cette jeunesse en délinquants mafieux. Ce qui est vrai et que tou.te.s les enseignant.es devraient méditer c’est qu’aucun adulte mafieux, fanatique, politique, enseignant, éducateur, aîné n’a été en mesure d’encadrer l’énergie de cette jeunesse pour lui passer un témoin et lui pointer un horizon commun vers lequel elle pourrait se projeter.

    Il y a un fanatisme religieux qui se trouve au pouvoir ou au centre de la société en Iran, en Afghanistan… mais ce n’est pas le cas de la France. Devant les gesticulations ridicules mais dangereuses pour la liberté, l’égalité, la sécurité et la paix d’un Gabriel Attal, les enseignant.es instruit.es expliqueront aux élèves que la France et les pays européens – ni la France ni l’Europe ne sont des exceptions- se sécularisent depuis le 16 ° siècle, autrement dit qu’ils prennent de plus en plus de distance avec les institutions religieuses. L’extrémisme religieux violent est une réaction à cette sécularisation comme en témoigne les actes terroristes accomplis en France au nom de l’Islam et non par l’Islam, par des groupes ou individus qui n’ont pas d’ancrage dans un pays ou parti politique religieux. Ils sont si sécularisés qu’ils recrutent par internet une jeunesse française qui souffre de discrimination en matière de logement, travail et sécurité, si on songe aux violences policières ou même une jeunesse française qui sans souffrir directement de ces discriminations ne trouve plus de parole crédible qui la ferait se tourner vers des organisations politiques ou associatives pour changer le monde ou se projeter vers demain.

    Voulez-vous aider à rendre le terrorisme attractif, à fabriquer des ennemis imaginaires et défendre la Laïcité de 2004 qui donne à la France dans le monde entier le visage de la Bande à Le Pen et Bolloré et efface celui de Condorcet, Olympe de Gouge, Aristide Briand et Jean Jaurès ? Le rôle de l’école n’est pas de donner du grain à moudre aux brigades et renseignements antiterroristes mais de combattre le pouvoir politico-médiatique et promouvoir la laïcité en faisant la preuve qu’elle peut être libérale et inclusive4. Si c’est votre projeeeet rejoignez la CALAAP.

    1 Le livre de l’historien Pierre Serna le poisson de l’extrême centre ou celui d’Alain Denault Politique de l’extrême centre

    2 Gérard Noiriel les rencontres de la laïcité

    3 https://www.crisisgroup.org/fr/europe-central-asia/western-europemediterranean/france/france-and-its-muslims-riots-jihadism-and-depoliticisation

    4 L’intégrisme républicain contre la Laïcité Jean Baubérot

  • Une leçon de choses – Maboula Soumahoro, chercheuse antiraciste interdite au Parlement européen

    Maboula Soumahoro est chercheuse spécialiste de la diaspora noire/africaine. Elle a été sollicitée par le Parlement européen pour intervenir le 21 novembre 2024, dans une table ronde destinée à promouvoir l’égalité et l’inclusion au travail. À la suite d’une guerre lancée contre elle par l’extrême droite, la table-ronde a été annulée. La question n’est déjà plus celle de la falsification des arguments. La question est celle du crédit accordé, dans une institution internationale, aux différentes formes de la représentation néofasciste.

    Maboula Soumahoro, chercheuse spécialiste de la diaspora noire/africaine, a publié en 2020, Le Triangle et l’Hexagone, croisant son champ d’études, menées aux États-Unis et en France, avec sa propre expérience de Française issue de la diaspora ivoirienne. Une expertise doublement légitime, largement reconnue des deux côtés de l’Atlantique. Elle a, pour cette raison, été sollicitée par le Parlement européen pour intervenir le 21 novembre 2024, dans une table-ronde destinée à promouvoir l’égalité et l’inclusion au travail.

    À la suite d’une véritable guerre, lancée contre elle par les représentants de l’extrême droite française, la table-ronde a été annulée : un parti ouvertement raciste dans ses propos, dans ses actes et dans sa tradition s’autorise à récuser l’expertise d’une chercheure noire reconnue… au nom de son « racisme anti-blanc », argument devenu, de notoriété publique, le fer de lance des fascistes de tout bord pour faire taire les racisé·es. C’est ainsi que notre collègue s’est retrouvée triplement victime : d’une annulation de la formation prévue ; d’une campagne de haine violente et négrophobe sur les réseaux sociaux actionnés par les parlementaires d’extrême-droite ; d’une accusation de racisme de la part de ces mêmes parlementaires. Par une mise en abyme révélatrice, c’est précisément ce qu’analyse Maboula Soumahoro dans son livre. Le mode opératoire a fait l’objet d’une formalisation officielle lors du colloque organisé par Reconquête ! au Palais du Luxembourg en 2023 : employer des méthodes d’intimidation pour faire annuler un événement scientifique, puis brandir cette annulation en trophée, avant de livrer le chercheur en pâture aux réseaux néofascistes qui orchestrent la haine en ligne.

    De fait, le retournement de l’imputation est devenu commun à l’extrême droite fasciste et à l’autoritarisme néolibéral. Cette perversion du vocabulaire n’est pas difficile à mettre en évidence : c’est la ritournelle de l’innocence persécutrice, largement usitée par le nazisme historique. L’accusation de « racisme » jetée à la figure de notre collègue n’est que l’autre face de la stratégie néofasciste de normalisation du racisme selon laquelle le racisme ne serait qu’une opinion, et les savoirs critiques de la race, une « idéologie ». En orchestrant cette confusion, l’extrême droite espère sortir blanchie de son racisme fondamental. Comme elle instrumentalise le massacre du 7 octobre 2023, pour se blanchir de son antisémitisme constitutif par un soutien au colonialisme du pouvoir israélien.

    Mais il est clair qu’au niveau décisionnaire du Parlement européen, la question n’est déjà plus celle de la falsification des arguments. La question est, beaucoup plus stratégiquement, celle du crédit accordé, dans une institution internationale, aux différentes formes de la représentation néofasciste. Le 3 juillet 2019, le sociologue Saïd Bouamama, sur ordre du Ministère de l’Intérieur faisant suite aux pressions de l’extrême droite, avait été interdit de présence à un colloque sur l’extrémisme violent, qu’il co-organisait. Le 24 septembre 2020, la grande juriste Danièle Lochak, à l’Assemblée Nationale, se voyait traitée, par le président LR d’une Mission sur le Racisme, non en experte, mais en prévenue, accusée de constituer une « menace à l’ordre républicain ». C’est maintenant au Parlement européen que se joue cette chasse aux chercheur.es critiques antiracistes – tout particulièrement quand ils et elles sont racisé·es –, menée par l’attelage d’une droite décomplexée et d’une extrême droite déchaînée poussée sur le devant de la scène.

    Alors que des parlementaires d’extrême droite s’expriment sans retenue par voie de presse, alors que les réseaux sociaux identitaires et néonazis de la même grande famille politique profèrent des insultes et des menaces de mort, la décision du Parlement européen résonne comme un acquiescement, disant la puissance effective du néofascisme au cœur même des institutions démocratiques qui sont supposées, par définition, s’y opposer.

    Il n’y a rien d’inédit à ce que le fascisme emprunte la voie démocratique pour conquérir le pouvoir, l’histoire l’a suffisamment montré. Qu’il le fasse avec une telle aisance, une telle arrogance et sans rencontrer le moindre obstacle, sonne à nos oreilles l’alerte d’un véritable renoncement que l’historien Marc Bloch aurait clairement qualifié de munichois.

    Cela pose bel et bien la question de savoir de quel côté se trouve l’« extrémisme violent » : celui des chercheur·es qui ont le courage d’en questionner l’origine, ou celui des pouvoirs qui imposent le silence à ces chercheur·es ?

  • La fausse neutralité des polémiques conservatrices contre la liberté académique

    Depuis quelques jours, la question de l’écriture inclusive fait à nouveau l’objet d’une levée de boucliers d’enseignant·es et de chercheur·euses qui s’accommodent agréablement des inégalités entre hommes et femmes, sous couvert de neutralité. Contre la police de la science, défendons la liberté académique !

    Depuis quelques jours, la question de l’écriture inclusive fait à nouveau l’objet d’une levée de boucliers d’enseignant.e.s et de chercheur.euse.s qui s’accommodent agréablement des inégalités entre hommes et femmes, sous couvert de neutralité. Ce ne sont rien moins que la section 17 du CNU (Conseil National des Universités), dédiée au suivi des carrières en philosophie, et le CNRS, qui font l’objet de l’opprobre et de la suspicion, sommés de s’amender pour sauver leurs réputations respectives.

    Dans une récente motion, la première propose de mettre en visibilité les violences sexuelles et sexistes, et de reconnaître l’engagement des chercheur.euse.s qui luttent contre ces violences :

    « Au moment de l’examen de l’évolution de la carrière, la section 17 du CNU s’engage à prendre en considération les responsabilités liées à l’instruction et aux suivis des violences sexistes et sexuelles, nous invitons les candidat·e·s aux promotions, congés et primes à l’indiquer expressément dans leur dossier. »

    Sur son blog, la philosophe Catherine Kintzler s’inquiète de la « prise en compte [des politiques d’égalité de genre] de manière aussi insistante dans le processus de recrutement ». Or la motion du CNU traite de « l’évolution de la carrière ». Car les recrutements ne sont pas du ressort du CNU : Catherine Kintzler l’aurait-elle oublié ?

    A cette inquiétude s’ajoute encore la crainte qu’une reconnaissance de ces éléments ne crée un biais fâcheux dans le monde de la recherche, favorisant certains terrains plutôt que d’autres, certain.e.s collègues plutôt que d’autres, alors que les carrières ne devraient tenir compte ni de de l’utilité sociale des travaux académiques, ni de l’implication du scientifique dans la cité. Mme Kintzler ne semble pas craindre pour autant que la non-reconnaissance et l’absence de prise en compte de ces éléments ne favorisent leur neutralisation, créant un biais en faveur des recherches qui occultent et invisibilisent ces violences.

    Se situant dans la ligne de celles et ceux qui présupposent que les chercheur.euse.s, quand ils et elles produisent des contenus, se situent sub specie aeternitatis, adoptant un point de vue de Sirius, elle réitère le fantasme d’une universalité émergeant « de nulle part », comme si cette dernière n’était pas le fruit de la discussion démocratique, du dissensus et de la mise en œuvre de formes de rationalité qui fabriquent de l’universel. Elle s’appuie également sur le mythe de la neutralité du scientifique, dont l’intégrité serait mise en péril par son existence en tant que citoyen.ne, ses activités associatives, son idéologie.

    Ainsi, vouloir inclure la part de l’humanité discriminée en raison de son appartenance de genre, poser cette question de l’égalité à même l’usage du langage, c’est faire preuve d’« idéologie ». Consacrer du temps à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, y compris dans son travail de recherche, y compris au sein de sa propre institution, c’est faire preuve d’« idéologie ». A l’inverse, invisibiliser ces violences, ce serait cela, la neutralité. Tenir les contenus académiques à l’abri du monde réel, se défendre d’aborder des enjeux politiques ou sociaux, c’est-à-dire s’en tenir au statu quo politique, s’accommoder des inégalités et cautionner des dispositifs d’oppression et de domination, bref, être un militant conservateur, être un militant réactionnaire, c’est cela, la neutralité. Comme si l’idéologie n’était pas le vecteur de toute pensée quelle qu’elle soit, et comme si la pensée se fabriquait hors des cadres théoriques et des contextes sociaux qui permettent son émergence.

    Dans le même temps, une tribune, réunissant les 70 signatures de chercheur.euse.s conservateur.rice.s, et parmi elles, de militant.e.s d’une laïcité identitaire, écrit son indignation face à la publication sur le Journal du CNRS, d’un article journalistique évoquant la sensibilité de nombreux.euse.s chercheur.euse.s à l’usage de l’écriture inclusive. Les auteur.rice.s de la tribune déplorent que seuls les arguments favorables à ce mode d’écriture soient présentés dans l’article, sans qu’y figurent les arguments de fond critiques de l’écriture inclusive – tout en admettant que le papier en question est un article journalistique et non pas académique ou scientifique.

    Mais tout à coup, on saute du coq à l’âne, et les auteur.rice.s de cette tribune ne résistent pas à passer de l’écriture inclusive à l’autre cheval de bataille que constitue pour eux l’ « islamo-gauchisme », appellation incontrôlable, créée en 2002 par Pierre-André Taguieff (signataire de cette tribune) pour stigmatiser les défenseurs des Palestiniens, puis revendiquée comme insulte par les militants d’extrême-droite et reprise en chœur par les dignitaires de la mouvance réactionnaire actuelle. Militant pour la reconnaissance d’une réalité du « phénomène islamogauchiste » – et niant symétriquement toute réalité au phénomène rationnellement étayé de l’islamophobie – ce groupuscule de chercheur.euse.s affirme sans ambiguïté son positionnement politique identitaire et réactionnaire. A rebours des méthodes les plus fondamentales des sciences sociales, il s’appuie sur le déni de la parole des premier.ère.s concerné.e.s par les discriminations, qui sont, elles et eux, véritablement « hors cadre scientifique », tenu.e.s en lisière, hors champ du monde académique, alors même que l’une des missions officielles des enseignant.e.s-chercheur.euse.s est de contribuer au dialogue entre sciences et société.

    Le sempiternel argument mobilisé par les auteur.rice.s considère que la défense progressiste de l’égalité et la lutte contre les discriminations relèvent du militantisme, alors que la défense conservatrice du statu quo inégalitaire consiste en une neutralité politique qui serait compatible avec la rigueur scientifique. Ainsi, toutes les positions autres que la position politique conservatrice et/ou réactionnaire des auteur.rice.s de la tribune se retrouvent disqualifiées et suspectes d’un mélange des genres entre savoirs et « idéologies », « hors cadre scientifique ».

    Nous, membres de la CAALAP, protestons contre ces tentatives de censure politique au nom de la neutralité, qu’il s’agisse de l’écriture inclusive ou des travaux documentant les discriminations, notamment racistes et islamophobes. Nous condamnons fermement les entraves à la liberté académique, d’autant plus choquantes quand elles émanent de chercheur·es, à la retraite ou non, qui prétendent faire la police de la science par voie de presse.

  • Actualités du fascisme : l’ordre sexuel à l’école

    A l’occasion du 90ème anniversaire de la tentative de renversement de la république par l’extrême droite le 6 février 1934

    A l’heure des 90 ans de la manifestation des ligues fascistes du 6 février 1934, le projet fasciste continue de lorgner vers l’école. L’accent mis par un certain nombre de politiques français sur la « bataille culturelle » (Eric Zemmour), la « métapolitique » (Marion Marechal) ou les « victoires idéologiques » (Marine Le Pen) font de l’école le terrain idéal pour la restauration d’une autorité perdue et d’un ordre moral profondément inégalitaire et répressif. Tourné vers le patriotisme et la préférence nationale, l’ordre que défendent les projets scolaires propres aux extrêmes-droites est aussi un ordre sexuel, réactivant les principes de domination du patriarcat, l’essentialisme de genre,
    l’hétéro-normativité et une profonde inégalité « naturelle » entre les garçons et les filles.

    L’actualité de la question du genre à l’école et plus loin, de l’éducation à la sexualité, est « brûlante », en un sens dramatique et inquiétant. Rapport d’inspection sur le lycée Stanislas, désaveu par les autorités politiques de la CIIVISE1, réactions violentes à la loi EVRAS2 en Belgique, rumeurs et panique morale autour des ABCD de l’égalité3, campagnes de calomnie de Parents Vigilants… des faits nombreux et récurrents donnent un aperçu de l’organisation de l’offensive fasciste pour (r)établir un ordre sexuel fantasmé. Ces faits nous obligent à prendre au sérieux la vision fasciste de la vocation naturelle des femmes et des hommes, ainsi que la référence à une sexualité naturalisée chargée de violence. À nous de nous interroger sur les armes d’une école émancipatrice porteuse d’égalité face à l’ampleur de la menace.

    L’école pensée par la IIIème République est elle-même pleine d’ambiguïtés : d’un côté, elle défend un projet d’émancipation pour tous et la transmission de l’héritage révolutionnaire destiné à former des générations de citoyens. Pour rappeler cela, nul besoin d’utiliser l’écriture inclusive, car dans le même temps, l’école de Jules Ferry se déploie dans une visée conservatrice de l’ordre social institué, et en particulier, d’un ordre patriarcal. Ainsi, « Les Instructions officielles du 27 juillet 1882 se proposent de « faire acquérir aux jeunes filles les qualités sérieuses de la femme de ménage ». Quant à Camille Sée, le promoteur de la loi instituant l’enseignement secondaire public féminin votée en décembre 1880, il affirme que « ce n’est pas un préjugé, c’est la nature elle-même qui renferme les femmes dans le cercle de la famille. Il est de leur intérêt, du nôtre (sic), de l’intérêt de la société tout entière, qu’elles demeurent au foyer domestique. Les écoles qu’il s’agit de fonder ont pour but, non de les arracher à leur vocation naturelle, mais de les rendre plus capables de remplir les devoirs d’épouse, de mère et de maîtresse de maison. 4»

    Dès la fin du XIXème siècle, le projet politique de l’école est pris dans une tension entre les valeurs émancipatrices de ses fondateurs révolutionnaires et le conservatisme essentialiste appuyé sur les inégalités de genre, de classe et de race. De cette tension émergent des fils qui se tissent et se nouent jusqu’à aujourd’hui, opposant des visions différentes, voire opposées de l’école : émancipatrice ou autoritaire, porteuse d’égalité ou (re)productrice d’un ordre social inégalitaire.

    La nature éminemment politique de toute vision de l’école se trouve souvent masquée par une forme de protestation d’innocence, qui revendique la « neutralité » de l’école, comme si c’était la condition d’une transmission des savoirs et d’une justice scolaire impartiale. Dans le débat public, le recours à la neutralité est fréquemment utilisé par les promoteurs d’une école partiale, discriminatrice, orientée sur la préférence nationale et sur la préférence masculine. Cette conception fasciste de l’école se prétend « neutre » au sens où elle serait tout simplement inscrite dans un ordre naturel, au diapason de lois immuables et nécessaires. À l’inverse, les partisan·e·s d’une école dont l’existence en tant qu’institution ne peut être justifiée que par sa capacité émancipatrice et transformatrice de la société vers un idéal de justice et d’égalité, celleux-là sont taxé·e·s d’idéologues. La recette est éculée, qui consiste à dépeindre les progressistes comme de dangereux ennemis du bien public par celleux qui défendent un intérêt de caste profondément genré.

    En creux, la conception réactionnaire de l’école bascule les questions de genre, ainsi que toutes les questions sociales autour desquelles se joue le projet émancipateur, dans la sphère du privé. Ainsi, ce ne serait pas aux instituteur·rice·s ni aux professeur·e·s de prendre en charge l’éducation affective et sexuelle, ni à l’école de se prononcer sur les relations entre genres en adoptant, par exemple, la mixité, en déculpabilisant l’homosexualité ou en se donnant les moyens de repérer les violences sexuelles sur les mineur-e-s, mais à l’institution traditionnelle de la famille. Cette privatisation de tous les lieux et les liens émancipateurs, dans lesquels les êtres sont susceptibles de s’organiser de façon démocratique et devenir autonomes, échafaude une concurrence entre les professeur·e·s et les parents, bien décidés à rester « vigilants ».

    Le fait que l’école puisse effectivement jouer à plein son rôle émancipateur suscite un effroi légitime chez les privilégiés, les établis qui détiennent des éléments de pouvoir, réels ou fantasmés. La possibilité d’un ordre plus égalitaire, signifiant l’abolition des privilèges de certains, ne pouvait et ne peut que continuer de paraître effrayante à ceux qui s’accrochent à ces privilèges ou espèrent les restaurer. Il n’est que de rappeler la violence de la campagne fasciste de Drumont envers le pédagogue libertaire Paul Robin, critique de l’autoritarisme, artisan de la mixité scolaire. Dans son école de Cempuis, il expérimente dès 1880 la « coéducation des sexes », ce qui lui vaut l’invective récurrente de La Libre Parole, qui considère l’école mixte comme un « système pornographique 5».

    Sur l’ordre sexuel, les affinités entre le conservatisme républicain et la pensée fasciste sont fortes. Le fascisme, entendu comme idéologie fusionnant un nationalisme organique et une révolte anti-rationaliste, rejoint l’esprit conservateur qui milite pour la préservation/restauration de l’ordre patriarcal colonial (Jules Ferry en est à nouveau la parfaite illustration). Qu’est-ce qui, dans la pensée fasciste, rend si centrale la question de l’ordre sexuel, suscitant des réactions parfois très violentes ?

    Pour le saisir, il faut analyser l’imaginaire sexuel fasciste. La peur du grand remplacement, favorisé par un grand endoctrinement à l’école, est une constante des mouvances fascistes, toujours endogames : une panique sexuelle. Le travail du psychologue Wilhelm Reich6 a pris à bras-le-corps cette question : à l’apogée du nazisme allemand, il s’est demandé pourquoi les masses paupérisées, touchées par la crise économique, s’étaient tournées vers l’extrême-droite nationaliste, s’étaient si massivement enrôlées dans le fascisme, au mépris de leurs propres intérêts. Comment un mouvement qui défend explicitement (parfois avec une certaine duplicité, il est vrai) des intérêts de classe (en gros, de la bourgeoisie), a-t-il pu rallier tant de personnes de toutes catégories ?

    Le travail de Reich permet d’éclairer cette contradiction en intégrant aux analyses sociologiques les données sexuelles. Et ces données font état d’une sexualité largement réprimée dans les milieux en question, en particulier chrétiens, refoulée par les individus. La répression sexuelle a participé à la mise en place d’un patriarcat très autoritaire, employant la religion chrétienne à des fins répressives. Cet ordre patriarcal a été essentiellement institué au sein de la famille autoritaire.

    Ainsi, pendant toute la première moitié du XXème siècle, les projets d’éducation sexuelle étaient ouvertement sexistes, dirigés par des soucis natalistes et eugénistes, puisqu’il s’agissait de prévenir une dégénérescence de la race en apprenant aux filles à devenir de bonnes mères et aux garçons à éviter les maladies vénériennes. Même sous cette forme, de tels projets furent rejetés par les associations de familles d’extrême-droite qui considéraient, avec des mots qui rappellent les paniques morales actuelles, qu’il s’agissait d’un enseignement pornographique et que l’éducation sexuelle était la prérogative des familles, et non de l’institution scolaire. Cette demande de neutralité, voire de silence total, ne venait pas tant d’un refus de l’éducation sexuelle, vue comme un moyen d’imposer une vision de la famille conservatrice, que de la crainte de voir cette éducation entre les mains
    d’instituteur·ices qui pourraient promouvoir d’autres visions de la famille et des rapports de genre.

    Ce n’est qu’en 1973 avec la circulaire Fontanet, arrachée grâce aux luttes d’enseignant·es comme la professeure de philosophie Nicole Mercier, d’élèves et de syndicats, qu’une éducation sexuelle (et non simplement de l’« information sexuelle ») réellement émancipatrice est entrée – certes avec beaucoup d’hésitations et de précautions oratoires – dans les programmes scolaires. Comme le faisait alors remarquer l’association des professeurs de biologie, il s’agissait de ne plus réduire le sexuel au génital, en étudiant que les fonctions biologiques de la procréation, mais d’intégrer ces connaissances à une étude des différentes pratiques sentimentales et sexuelles
    (contraception, plaisir, relation à autrui, égalité entre hommes et femmes) pour protéger les élèves contre des attitudes irresponsables vis-à-vis des autres et de soi-même7.

    On pourrait ainsi croire que le triomphe du libéralisme et la révolution de Mai 68, trauma des réactionnaires de tous poils, a sonné le glas de cette politique sexuelle autoritaire. Mais il n’en est rien et elle perdure, nourrie par l’angoisse sexuelle et les inhibitions de ceux qui ne sont pas triomphants sur le marché sexuel néolibéral. La réaction politique, au sens réactionnaire, émane de la tension produite entre l’angoisse sexuelle et le désir d’une liberté sexuelle puissamment refoulée, censurée, déplacée sur les autres : les corps immigrés, les Noirs et les Arabes, dépeints comme autant de prédateurs sexuels, ainsi que les femmes « libérées »… L’homme réactionnaire éprouve une profonde insécurité sexuelle, alimentée par des situations de défaites militaires, de vulnérabilité et par
    la peur, qui lui fait craindre d’être remplacé par d’autres hommes sexuellement plus performants ou par des femmes. Il lui reste l’institution de la famille pour affirmer sa puissance sexuelle et sa virilité en tant que géniteur, par le biais de la reproduction.

    Cette panique sexuelle s’exprime explicitement dans les discours de bien des hommes politiques d’extrême-droite : « Le besoin des hommes de dominer – au moins formellement – pour se rassurer sexuellement. Le besoin des femmes d’admirer pour se donner sans honte 8» prétend Eric Zemmour. Elle a pour effet d’engendrer un revers sadique, qui vise à renforcer la répression sexuelle en la déplaçant sur l’objet du désir frustré : la femme. Ce sadisme s’affirme dans la légitimation d’une sexualité naturelle qui soumet la femme à la violence masculine9 et tolère avec bonhomie les violences sexuelles faites aux femmes (voir la tribune initiée par l’éditorialiste de Causeur apportant son soutien à l’acteur Depardieu dans le contexte de sa mise en examen pour viol).

    Le contexte actuel nous contraint à nous ressouvenir de 1934 et mérite un bref état des lieux des mobilisations fascistes, notamment sur la mission attribuée à l’école d’être l’instrument de la politique sexuelle fasciste.

    Une telle politique se donne à lire dans le rapport des inspecteurs de l’Éducation Nationale sur le Collège-Lycée Stanislas, pointant le non-respect des programmes de SVT et d’éducation sexuelle et affective. Les pratiques et discours sexistes, homophobes et autoritaires de cet établissement privé catholique concordent avec l’esprit réactionnaire des familles qui inscrivent leurs enfants dans cette institution. Cet exemple illustre le danger de reléguer l’éducation sexuelle et affective dans la sphère privée et la nécessité de l’établir dans l’école publique pour protéger les enfants, leur santé, leur avenir comme le préconise le rapport de la CIIVISE. « Préconisation 80 : Assurer la mise en œuvre effective à l’école des séances d’éducation à la vie sexuelle et affective et garantir un contenu d’information adapté au développement des enfants selon les stades d’âge. 10»

    Dans le livret de formation à destination de tous les professionnels qui ont la charge des enfants, la commission de la CIIVISE mentionne11 le besoin de sécurité comme un méta-besoin conditionnant la satisfaction de tous les autres : « Il inclut les besoins physiologiques et de santé (être nourri, vêtu, logé, soigné, dormir selon des rythmes réguliers), le besoin de protection contre toute forme de violence, de négligence ou de danger et le besoin primordial de sécurité affective et relationnelle (bénéficier d’une figure de sécurité qui prend soin de lui de façon adaptée, continue et cohérente)».

    Or, ce besoin n’est pas toujours respecté dans les familles. Toutes les enquêtes sur les violences sexuelles et incestueuses établissent que 95,2 % des agresseurs sont des hommes et que dans la plupart des cas, ils font partie de la famille ou de l’entourage proche. Le rapport de la CIIVISE porte au public une réalité douloureuse et difficile à admettre : la famille est un lieu où la domination masculine et les violences sexuelles incestueuses se sont exercées pendant des siècles et continuent de s’exercer sur les femmes, ainsi que les mineur-es de moins de 18 ans. Ces dernièr.es situé.e.s dans un rapportd’asymétrie vis-à-vis des adultes, sont les victimes privilégiées de ceux qui continuent à se prendre pour des chefs de famille.

    C’est cet ordre sexuel-là, constitué de domination patriarcale, d’inégalités de genre, de violences sexuelles, d’hétéronormativité homophobe et transphobe, que défendent les nouvelles ligues fascistes reconstituées au XXIème siècle, à travers les groupes de pression des Parents Vigilants, des Mamans Louves, des groupes identitaires ou nationaux-révolutionnaires, jusqu’aux projets des partis politiques d’extrême-droite. C’est contre cet ordre sexuel fasciste que la CAALAP défend une école éclairée et égalitaire, porteuse d’une éducation sexuelle et affective émancipatrice.

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